TORPILLE (Experiences sur la). -- Physique. -- Observations nouvelles. -- MM. de Humboldt et Gay- Lussac. -- 1805. -- Quoique la force de la torpille (Raja torpedo Lin.) ne soit pas a comparer a celle du gymnotus, elle n'en est pas moins en etat de causer des sensations douloureuses. Une personne tres-accoutumee aux commotions electriques ne soutient qu'avec peine une torpille de quatre decimetres de long, et jouissant de toute sa vigueur. L'animal porte son coup sous l'eau, et ce n'est que lorsqu'il devient plus faible que ce fluide empeche son action. M. Gay-Lussac a observe que dans ces cas on ne commence a sentir la commotion que lorsqu'on eleve la torpille audessus de la surface de l'eau. Il en est de ce poisson comme des grenouilles sur lesquelles on fait des experiences galvaniques. Les conditions sous lesquelles la contraction se fait sont differentes selon le degre d'excitabilite des organes. M. de Humboldt a observe dans l'Amerique meridionale que le gymnotus donne les commotions les plus effrayantes, sans faire aucun mouvement exterieur des yeux, de la tete ou des pennes. Il n'en fait pas plus qu'une personne qui passe d'une idee, d'une sensation a une autre; il n'en est pas de meme de la torpille. Les deux savans observateurs ont remarque qu'elle remue convulsivement les pennes pectorales chaque fois qu'elle lance son coup; ce coup se fait sentir plus ou moins fort selon que le contact se passe dans une surface plus ou moins grande. On ne peut pas decharger a volonte les organes d'une torpille ou d'un gymnotus, comme l'on decharge une bouteille de Leyde ou une pile. On ne sent pas toujours de commotion lorsqu'on touche un poisson electrique. Il faut l'irriter pour qu'il porte son coup; cette action depend de la volonte de l'animal, qui peut-etre ne tient point toujours charges ses organes electriques; il les recharge avec une celerite admirable, car il est en etat de donner une longue suite de commotions. Le coup se fait sentir (l'animal etant dispose a le porter) en touchant d'un seul doigt une seule surface des organes electriques, ou en appliquant les deux mains aux deux surfaces, a la superieure et a l'inferieure a la fois. Aussi, dans les deux cas, il est indifferent que la personne qui applique son doigt ou ses deux mains soit isolee ou qu'elle ne le soit pas. Lorsqu'une personne isolee touche la torpille d'un seul doigt, il est indispensable que le contact soit immediat. Aucune commotion ne se fait sentir lorsqu'un corps conducteur, un metal, par exemple, est interpose entre le doigt et l'organe du poisson. C'est pour cela que l'on touche impunement l'animal par le moyen d'une clef ou de tout autre instrument metallique. M. Gay-Lussac ayant observe cette condition importante, la torpille fut placee sur un plateau metallique avec lequel la surface inferieure des organes etait en contact. La main qui soutient ce plateau ne sent jamais de commotion lorsqu'une autre personne isolee irrite l'animal, et que le mouvement convulsif des pennes pectorales annonce les decharges les plus fortes de son fluide electrique. Si, au contraire, une personne soutient la torpille placee sur un plateau metallique de la main gauche, comme dans l'experience precedente, et si cette meme personne touche la surface superieure de l'organe electrique de la main droite, alors une forte commotion se fait sentir dans les deux bras a la fois. Ce sentiment est le meme lorsque le poisson est place entre deux plateaux metalliques dont les bords ne se touchent pas, et lorsque l'on appuie des deux mains a la fois sur ces plateaux. Au contraire, aucune commotion dans les deux bras ne se fait sentir, si dans le cas precedent il existe quelque communication immediate entre les bords des deux plateaux metalliques. La chaeine entre les deux surfaces de l'organe est alors formee par les plateaux, et la nouvelle communication que l'on etablit par le contact des deux mains avec les plateaux est sans effet. L'electrometre le plus sensible n'indique aucune tension electrique dans les organes de la torpille, il n'en est aucunement affecte, de quelque maniere qu'on l'emploie, soit en l'approchant des organes, soit en isolant le poisson, le couvrant d'un plateau metallique, et en faisant communiquer ce plateau par un fil conducteur avec le condensateur de Volta. Rien n'indique ici, comme dans le gymnotus, que l'animal modifie la tension electrique des corps qui l'entourent. Les poissons electriques agissant en etat de sante avec la meme force sous l'eau que dans l'air, MM. de Humboldt et Gay-Lussac ont examine la propriete conductrice de ce fluide. Plusieurs personnes faisant la chaeine entre la surface superieure et la surface inferieure des organes de la torpille, la commotion ne s'est fait sentir que lorsque ces personnes se sont mouille les mains. Une goutte d'eau n'intercepte pas l'action lorsque deux personnes, qui de leurs mains droites soutiennent la torpille, au lieu de se donner la main gauche, enfoncent chacune un stylet metallique dans une goutte d'eau placee sur un corps isolant. En substituant en ce cas la flamme a la goutte d'eau, la communinication est interceptee, et ne se retablit que lorsque les deux stylets se toucheut immediatement dans l'interieur de la flamme. Il faut encore observer que sous l'eau comme dans l'air la commotion ne se fait sentir que lorsqu'on touche immediatement le corps des poissons electriques. Ils ne lancent pas leurs coups a travers la couche d'eau la plus mince, fait d'autant plus remarquable que l'on sait que dans les experiences galvaniques, ou la grenouille est plongee dans l'eau, il suffit d'approcher la pincette d'argent des muscles, et que la contraction se fait lorsque la couche d'eau interposee a un ou deux millimetres d'epaisseur. Les experiences que ces deux savans ont faites sur la torpille prouvent, suivant eux, que les organes electriques de cet animal n'annoncent aucune tension, aucun exces de charge. On serait plutot tente de comparer leur action a celle d'une reunion de petites bouteilles de Leyde qu'a une pile de Volta. Sans chaeine, aucune commotion ne se fait sentir; et ayant senti des coups du gymnotus a travers des cordes seches, M. de Humboldt croit que dans le cas ou cet animal semblait lui donner de fortes commotions sans l'existence d'une chaeine, cette derniere avait lieu cependant a cause de l'imperfection de l'isolement ou se trouvait l'observateur. Si la torpille agit par des poles, par un equilibre electrique qui tend a se retablir, les experiences qui precedent paraissent prouver encore que ces poles existent les uns pres des autres sur la meme surface de l'organe. On sent la commotion en ne touchant qu'une seule surface de son doigt. Un plateau interpose entre la main et l'organe retablit lui-meme l'equilibre, et la main qui soutient ce plateau ne sent rien, parce qu'elle est hors du courant. Mais en supposant un nombre de poles heterogenes sur chaque surface de l'organe, pourquoi en couvrant ces surfaces de deux plaques metalliques, dont les bords ne se touchent pas entre eux, et en placant les mains sur ces plateaux, l'equilibre se retablitil vers les bras? Pourquoi, peut-on demander, l'electricite positive de la surface inferieure ne cherche-t-elle pas, dans le moment de l'explosion, l'electricite negative du pole voisin, et pourquoi ne se trouve-t-elle que dans la surface superieure de l'organe electrique? Ces difficultes, dit M. de Humboldt, ne sont peut-etre pas insurmontables; mais la theorie de ces actions vitales demande encore bien des recherches. Geoffroy a prouve que les raies, qui ne donnent pas de signes d'electricite, ont des organes tresanalogues a ceux de la torpille. La moindre lesion du cerveau empeche l'action de ce poisson electrique. Les nerfs jouent sans doute le plus grand role dans ces phenomenes, et le physiologiste qui embrasse l'ensemble des actions vitales, s'opposerait avec raison au physicien qui croirait tout expliquer par le contact de la pulpe albumino-gelatineuse et les feuillets aponevrotiques que la nature a reunis dans les organes de la torpille. Ann. de chim., 1805, t. 56, p. 15. V. Anguille electrique.