Sur les commotions electriques produites par la torpille. M. Von Humboldt vient d'executer avec la torpille (Roja torpedo, L.) une suite d'experiences, sur lesquelles il rend le compte suivant: 1°. Quoique la force de la torpille ne soit pas a comparer a celle du gymnotus, elle n'en est pas moins en etat de causer des sensations douloureuses. Une personne tres-accoutumee aux commotions electriques ne soutient qu'avec peine une torpille de quatre decimetres de long, et jouissant de toute sa vigueur. L'animal porte son coup sous l'eau, et ce n'est que lorsqu'il devient plus faible que ce fluide empeche son action. M. Gay Lussac a observe que dans ce cas on ne commence a sentir la commotion, que lorsqu'on eleve la torpille au-dessus de la surface de l'eau. Il en est de ce poisson, comme des grenouilles, sur lesquelles on fait des experiences galvaniques. Les conditions sous lesquelles la contraction se fait, sont differentes selon le degre d'incitabilite des organes. 2°. J'ai observe dans l'Amerique meridionale que le gymnotus donne les commotions les plus effrayantes, sans faire aucun mouvement exterieur des yeux, de la tete, ou des pennes. Il n'en fait pas plus qu'une personne qui passe d'une idee, d'une sensation a une autre; il n'en est pas de meme de la torpille. Nous avons observe qu'elle remue convulsivement les pennes pectorales chaque fois qu'elle lance son coup; ce coup se fait sentir plus ou moins fort, selon que le contact se passe dans une surface plus ou moins grande. 3°. On ne peut pas decharger a volonte les organes d'une torpille ou d'un gymnotus, comme l'on decharge une bouteille de Leyde, ou une pile. On ne sent pas toujours de commotion, lorsqu'on touche un poisson electrique. Il faut l'irriter pour qu'il porte son coup; cette action depend de la volonte de l'animal, qui peut-etre ne tient pas toujours charges ses organes electriques; il les recharge avec une celerite admirable, car il est en etat de donner une longue suite de commotions. 4°. Le coup se fait sentir (l'animal etant dispose a le porter), soit que l'on touche d'un seul doigt une seule surface des organes electriques, ou que l'on applique les deux mains aux deux surfaces, a la superieure et a l'inferieure, a-la-fois. Aussi, dans les deux cas, il est indifferent que la personne, qui applique son doigt ou ses deux mains, soit isolee ou qu'elle ne le soit pas. 5°. Lorsqu'une personne isolee touche la torpille d'un seul doigt, il est indispensable que le contact soit immediat. Aucune commotion ne se fait sentir lorsqu'un corps conducteur, par exemple, un metal, est interpose entre le doigt et l'organe du poisson. C'est pour cela que l'on touche impunement l'animal par le moyen d'une clef, ou de tout autre instrument metallique. 6°. M. Gay-Lussac ayant observe cette condition importante, nous avons place la torpille sur un plateau metallique, avec lequel la surface interieure des organes etait en contact. La main qui soutient ce plateau ne sent jamais de commotion, lorsqu'une autre personne isolee irrite l'animal et que le mouvement convulsif des pennes pectorales annonce les decharges les plus fortes de son fluide electrique. 7°. Si au contraire une personne soutient, de la main gauche, la torpille placee sur un plateau metallique, comme dans l'experience precedente (6°), et si cette meme personne touche la surface superieure de l'organe electrique de la main droite, alors une forte commotion se fait sentir dans les deux bras a-la-fois. 8°. Ce sentiment est le meme, lorsque le poisson est place entre deux plateaux metalliques, dont les bords ne se touchent pas, et lorsqu'on appuie des deux mains a-la-fois sur ces plateaux. 9°. Au contraire, aucune commotion dans les bras ne se fait sentir, si dans le cas precedent (8°.) il existe quelque communication immediate entre les bords des deux plateaux metalliques. La chaeine entre les deux surfaces de l'organe est alors formee par les plateaux et la nouvelle communication que l'on etablit par le contact des deux mains avec les plateaux est sans effet. 10°. L'electrometre le plus sensible n'indique aucune tension electrique dans les organes de la torpille; il n'en est aucunement affecte, de quelque maniere que l'on l'emploie, soit en l'approchant des organes, soit en isolant le poisson, le couvrant d'un plateau metallique et en faisant communiquer ce plateau par un fil conducteur avec le condensateur de Volta. Rien n'indique ici, comme dans le gymnotus, que l'animal modifie la tension electrique des corps qui l'entourent. 11°. Les poissons electriques agissant en etat de sante avec la meme force sous l'eau que dans l'air, nous avons examine la propriete conductrice de ce fluide. Plusieurs personnes faisant la chaeine entre la surface superieure et la surface inferieure des organes de la torpille, la commotion ne s'est fait sentir que lorsque ces personnes se sont mouille les mains. Une goutte d'eau n'intercepte pas l'action, lorsque deux personnes, qui de leurs mains droites soutiennent la torpille, au lieu de se donner la main gauche, enfoncent chacune un stilet metallique dans une goutte d'eau placee sur un corps isolant. 12°. En substituant en ce cas la flamme a la goutte d'eau, la communication est interceptee, et ne se retablit que lorsque les deux stilets se touchent immediatement dans l'interieur de la flamme. 13°. Il faut encore observer que sous l'eau comme dans l'air, la commotion ne se fait sentir que lorsqu'on touche immediatement le corps des poissons electriques. Ils ne lancent pas leurs coups a travers la couche d'eau la plus mince, fait d'autant plus remarquable que l'on sait que dans les experiences galvaniques, ou la grenouille est plongee dans l'eau, il suffit d'approcher la pincette d'argent des muscles, et que la contraction se fait lorsque la couche d'eau interposee a un ou deux millimetres d'epaisseur.