VOYAGE De Humboldt et Bonpland en Amerique, tire du magasin litteraire de Philadelphie, publie en juillet 1804. -- Traduit de l'anglais par M. Caritat. L'abrege que nous donnons ici du Voyage en Amerique, des celebres Humboldt et Bonpland, est pris sur les notes que le premier a bien voulu communiquer, et servira a faire mettre de cote plusieurs relations tres-incorrectes, publiees avant la presente, sur ce sujet interessant. M. Humboldt, apres avoir voyage comme naturaliste depuis l'annee 1790 en Allemagne, en Pologne, en France, en Suisse et dans une partie de l'Angleterre, de l'Italie, de la Hongrie et de l'Espagne, est venu a Paris en 1798, epoque a laquelle il recut une invitation des directeurs du Musee national, pour accompagner le capitaine Baudin dans son voyage autour du monde. M. Bonpland, ne a la Rochelle, et eleve au Musee de Paris, devoit aussi aller avec lui; mais au moment de partir, le projet fut suspendu jusqu'a une occasion plus favorable, attendu que la guerre avec l'Autriche venoit de recommencer. M. Humboldt qui, depuis 1792, avoit forme le dessein de voyager aux Indes, avec l'intention d'etendre les connoissances deja acquises dans les sciences liees a l'histoire naturelle, resolut alors de suivre les savans partis avec l'expedition d'Egypte. Son plan etoit d'aller a Alger, sur la fregate suedoise qui devoit y conduire le consul Skoldebrandt, de suivre la caravane qui va d'Alger a la Mecque, de passer de l'Egypte en Arabie, et de-la par le golfe Persique, aux etablissemens anglais dans l'Inde. La guerre qui survint en octobre 1798, entre la France et les puissances barbaresques, ainsi que les troubles de l'Orient, empecherent M. Humboldt de s'embarquer a Marseille, ou il etoit reste deux mois a attendre inutilement. Impatiente de ce delai, et persistant dans la resolution qu'il avoit prise de se rendre en Egypte, il alla en Espagne, esperant pouvoir passer plus aisement, sous les couleurs espagnoles, de Carthagene a Alger et Tunis. Il emporta avec lui la collection considerable d'instrumens de physique, de chimie et d'astronomie qu'il avoit achetee en Angleterre et en France. Par un concours de circonstances heureuses, il obtint, en 1799, de la cour de Madrid, la permission de visiter les colonies espagnoles des deux Ameriques; elle fut accordee avec une liberalite et une franchise qui font honneur au gouvernement et a un siecle philosophique. Apres avoir reside quelques mois a la cour d'Espagne, pendant lesquels le roi parut prendre le plus vif interet a l'entreprise, M. Humboldt quitta l'Europe en juin 1799, accompagne de M. Bonpland, qui joignoit a une connoissance profonde en botanique et en zoologie, un zele indefatigable. C'est avec cet ami que M. Humboldt accomplit, a ses frais, ses voyages dans les deux hemispheres, par terre et par mer, voyages que l'on peut regarder comme etant probablement les plus etendus qu'aucun individu ait jamais entrepris. Ces deux voyageurs quitterent la Corogne, a bord du vaisseau espagnol le Pizarre, pour aller aux eiles Canaries, ou ils gravirent le cratere du Pic de Teyde, et firent des experiences sur l'analyse de l'air. Ils arriverent en juillet au port de Cumana , dans l'Amerique du Sud. En 1799, ils visiterent la cote de Paria, les Missions des Indiens Chaymas, la province de la Nouvelle-Andalousie, (pays bouleverse par les tremblemens de terre les plus essroyables, le plus chaud, et cependant le plus sain que l'on connoisse) de la Nouvelle-Barcelone, de Venezuela et de la Guiane espagnole. En janvier 1800, ils quitterent Caracas pour aller voir les vallees charmantes d'Aragua, ou le grand lac de Valence rappelle a l'imagination les vues du lac de Geneve, embellies de toute la vegetation des tropiques. De Porto-Cabello ils traverserent, au sud, les plaines immenses de Caloboza, d'Apure et de l'Orenoque, ainsi que Los Lanos, desert semblable a ceux de l'Afrique ou dans l'ombre (par la reverberation de la chaleur), le thermometre monte a 35 et 37 degres. Le niveau du pays, dans un espace de 2000 lieues quarrees, ne differe pas de cinq pouces. Le sable represente par-tout l'horison de la mer, sans vegetation; et son sein desseche cache les crocodiles et des serpens engourdis. On voyage a cheval dans ce pays, ainsi que dans toute l'Amerique espagnole, excepte au Mexique. Ils etoient des jours entiers sans appercevoir un palmier ou les vestiges d'une seule habitation. A St.-Fernando d'Apure, dans les provinces de Varinos, MM. Humbold et Bonpland commencerent cette navigation fatigante d'environ mille lieues marines, qui se fait dans des canots, levant une carte du pays avec le secours de chronometres, des satellites de Jupiter et des distances lunaires. Ils descendirent la riviere d'Apure, qui se jette dans l'Orenoque, a sept degres de latitude. Ils remonterent cette derniere riviere, passant les celebres cataractes de Mapures et d'Atures, jusqu'a l'embouchure de la Guaviare. De-la ils remonterent les petites rivieres de Tabapa, Juamini et Tenie. De la mission de Sarita, ils allerent par terre aux sources de la fameuse Rio-Negro, que la Condamine vit a l'endroit ou elle s'unit au fleuve des Amazones, et qu'il appelle une mer d'eau douce. Environ trente Indiens porterent les canots au travers des bois de Manci Lecythis et de Laurus Cinamoides a la crique de Pemichin. Ce fut par ce ruisseau que les voyageurs entrerent dans la Rio- Negro ou riviere Noire qu'ils descendirent jusqu'a St.-Charles, qu'on a suppose par erreur etre place sous l'equateur ou precisement aux frontieres du Grand-Para, dans le gouvernement du Bresil. Un canal de Tenie a Pemichin, qui, par la nature du terrein, est trespraticable, offriroit une belle communication interieure entre le Para et la province de Carracas, communication qui seroit infiniment plus courte que celle de la Cassiquiare. De la forteresse Saint-Charles, sur la Rio- Negro, M. Humboldt alla en remontant cette riviere et la Cassiquiare, a la riviere d'Orenoque, et par cette riviere au volcan Daida, ou a la mission de l'Esmeralda, pres des sources de l'Orenoque: les Indiens Guaicas, (une race d'hommes presque pigmes, tres-blancs et tres-guerriers), rendent inutiles toutes tentatives qui auroient pour but de parvenir aux sources elles-memes. De l'Esmeralda, MM. Humboldt et Bonpland descendirent a Saint-Thomas de la Guyane, ou l'Angastura, vers l'embouchure de l'Orenoque, lorsque ses eaux s'eleverent. Ce fut pendant cette navigation qu'ils souffrirent, sans interruption, par le manque de vivres et d'abri des pluies de la nuit, obliges de vivre dans les bois, exposes aux moustiques, et a une variete infinie d'insectes nuisibles; par l'impossibilite de pouvoir se baigner, en etant empeches par la ferocite du crocodile, par le craib, sorte de petit poisson dangereux, et, finalement, par les miasmes d'un climat braulant. Ils retournerent a Cumana, par les plaines de Cari, et la mission des Caraibes, race d'hommes tres-differente d'aucune autre, et probablement, apres les Patagons, les plus grands et les plus robustes qui existent au monde. Apres etre restes quelques mois a la Nouvelle Barcelonne et a Cumana, les voyageurs arriverent a la Havane; en se rendant a cet endroit, ils eprouverent une navigation fatigante et dangereuse, le batiment ayant, pendant la nuit, pense toucher sur les rochers de Vibora. M. Humboldt resta trois mois dans l'eile de Cuba, ou il s'occupa a etablir la longitude de la Havane, et a construire des poeles sur les plantations a sucre, qui ont ete, depuis, assez generalement adoptes. Ils etoient au point de partir pour la Vera-Cruz, se proposant d'aller, par la voie du Mexique et d'Acapulco, aux isles Philippines, et de-la, s'il etoit possible, par Bombay et Alep, a Constantinople, lorsque de faux bruits, relativement au voyage du capitaine Baudin, les inquieterent, et leur firent changer leur plan. Les gazettes rapportoient que ce navigateur devoit aller de France a Buenos-Ayres, et, de la, par le cap Horn, au Chili et au Perou. M. Humboldt avoit promis a M. Baudin, et aux membres du Museum de Paris, que, dans tel lieu qu'il faut, il s'efforceroit de joindre l'expedition aussitot qu'il seroit instruit de son depart. Il avoit l'idee que ses recherches et celles de son ami Bonpland pouvoient etre plus utiles a la science, en les reunissant aux travaux des savans qui devoient accompagner le capitaine Baudin. Ces considerations engagerent M. Humboldt a envoyer ses manuscrits de 1799 et 1800, directement en Europe, et de freter un petit batiment a Batabano pour se rendre a Carthagene, et de-la aussi veite qu'il seroit possible, par l'isthme de Panama, a la mer du Sud. Il esperoit trouver le capitaine Baudin a Guayaquil ou a Lima, et visiter avec lui la Nouvelle-Hollande et les isles de l'Ocean Pacifique, pays egalement interessans sous un point de vue moral comme par la surabondance de leur vegetation. Il parut imprudent d'exposer les collections et manuscrits deja rassembles, aux risques de cette navigation projettee. Ces manuscrits dont M. Humboldt ignora le sort pendant trois ans, et jusqu'a son arrivee a Philadelphie, parvinrent en saurete; mais un tiers de la collection fit naufrage. A la verite (excepte les insectes de l'Orenoque et de la Rio-Negro) elle etoit seulement composee de duplicata; mais malheureusement le frere Jean Gonzales, moine de l'ordre de St.-Francois, l'ami auquel on l'avoit confiee, perit avec elle. C'etoit un jeune homme plein d'ardeur, qui avoit penetre dans cette partie de la Guyane espagnole plus loin qu'aucun autre europeen. M. Humboldt quitta Batabano en mars 1801, et passa au sud de l'isle de Cuba, ou il determina plusieurs positions geographiques. La traversee devint tres-longue par les calmes et les courans qui porterent le batiment trop a l'Ouest, vers les bouches de l'Attracto. Il entra dans la riviere de Sinu, ou jamais botaniste n'avoit paru, et les voyageurs eurent beaucoup de peine a arriver a Carthagene. La saison etant trop avancee pour la navigation de la mer du Sud, le projet de traverser l'isthme fut abandonne. M. Humboldt ayant un grand desir de connoeitre le celebre Mutis, et faisant un cas infini de ses superbes et immenses collections d'histoire naturelle, il se determina a passer quelques semaines dans les bois de Turbaco, et a remarquer la belle riviere de la Magdelaine, ce qui prit quarante jours, pendant lesquels il en traca le cours sur une carte. Depuis Honda, nos voyageurs remonterent au travers de forets de chenes, de Melastomo et de Cinchona (arbre qui fournit le quinquina) jusqu'a Santa-Fe de Bogota, capitale du royaume de la Nouvelle-Grenade, situee dans une belle plaine elevee de 1360 toises au-dessus du niveau de la mer. Les superbes collections de Mutis, la cataracte majestueuse de Tequendama, qui a 98 toises de haut, les mines de Mariquita, St-Ana et de Tipaquira, le pont naturel de Scononza, forme de trois pierres jetees ensemble en espece d'arche, par un tremblement de terre, ces divers objets curieux fixerent l'attention de MM. Humboldt et Bonpland, jusqu'au mois de septembre 1801. A cette epoque, quoique la saison pluvieuse eaut commence, ils entreprirent le voyage de Quito, et traverserent les andes de Quindin, montagnes abondantes en neige, couvertes de palmiers a cire, de passeflores provenant des arbres, de storax et de bambous. Ils furent, pendant treize jours, obliges de passer a pied par des endroits horriblement marecageux, et ou rien n'indiquoit qu'ils fussent habites. Du village de Carthago, dans la vallee de Cauca, ils suivirent le cours de la Choco, pays du Palatina, que l'on trouve dans cet endroit en morceaux ronds de basalte, de roche verte, et de bois fossil. Ils passerent de Buga a Popayan, le siege d'un eveche qui est situe pres des volcans de Sotara et Purace, lieu trespittoresque, ou on jouit du plus charmant climat du monde, le thermometre de Reaumur etant constamment entre 16 et 18 degres. Ils gravirent le cratere du volcan de Purace dont la bouche, au milieu de la neige, exhale des vapeurs d'hydrogene sulfureux, accompagnees d'un bruit continuel et terrible. De Popayan, ils passerent par les defiles dangereux d'Almager, en evitant la vallee infecte et contagieuse de Patia a Posto, et de cette ville qui est situee au pied d'un volcan enflamme, par Tuqueras et la province de Pastos, portion de pays plat fertile en grains d'Europe, mais eleve de plus de 15 a 1600 toises au-dessus des villes d'Ibarra et de Quitto. Ils arriverent en janvier 1802 a cette superbe capitale, celebre par les travaux des illustres la Condamine, Bouger, Godin, George, Juan et Ulloa, et encore plus celebre par l'extreme amabilite de ses habitans, et leur heureuse disposition pour les arts. Ils resterent environ un an dans le royaume de Quito. La hauteur de ses montagnes couvertes de neige, ses tremblemens de terre affreux (celui du 7 fevrier 1797 a englouti 42,000 habitans en quelques secondes), sa fertilite et les moeurs de ses habitans semblent avoir ete combines pour le rendre le pays de l'univers le plus interessant. Apres avoir essaye en vain a trois differentes reprises, ils reussirent deux fois a gravir le cratere du volcan de Pichincha, ayant avec eux des electrometres, barometres et hygrometres. La Condamine n'avoit pu s'arreter la que quelques minutes, et encore sans instrumens. Au tems ou il y parvint, cet immense cratere etoit froid et rempli de neige. Nos voyageurs le trouverent enflamme; chose affligeante pour la ville de Quito, qui en est seulement eloignee de 5 a 6000 toises. Ils visiterent separement les montagnes de neige et de porphyre d'Antisana, Cotopaxi, Tungarague et Chimborazo, cette derniere donne le point le plus eleve de notre globe. Ils etudierent la partie geologique de la Cordiliere des Andes, sujet sur lequel rien n'a ete publie en Europe, la science de la mineralogie (si on peut se servir de l'expression) ayant ete creee pour ainsi dire depuis le tems de la Condamine. Les mesures geodesiques qu'ils prirent, prouvent que quelques montagnes, particulierement celle du volcan de Tungarague, ont considerablement baisse depuis 1750, resultat qui s'accorde avec les observations qui leur ont ete faites par les habitans. Pendant toute cette partie du voyage, ils ont ete accompagnes de M. Charles Montutar, fils du marquis de Selva-Alegre, de Quito, homme extremement zele pour les progres de la science, et qui rebatit maintenant, a ses depens, les pyramides de Saraqui, formant l'extremite des bases celebres des triangles des academiciens francais et espagnols. Ce jeune homme interessant ayant suivi M. Humboldt le reste de son voyage dans le Perou et la Nouvelle-Espagne, se rend dans ce moment avec lui en Europe. Les circonstances furent si favorables aux essorts des trois voyageurs, qu'a Antisana, ils monterent a 2200 pieds, et a Chimborazo, le 22 juin 1802, a pres de 3200 pieds plus haut que la Condamine ne put porter ses instrumens. Leur elevation etoit de 3036 toises au-dessus du niveau de la mer, hauteur a laquelle le sang jaillit de leurs yeux, de leurs levres et de leurs gencives. Une ouverture de 80 toises de profondeur les empecha d'atteindre le faeite de la montagne, dont ils n'etoient qu'a 134 toises. Ce fut a Quito que M. Humboldt recut la lettre de l'Institut national de France, qui l'informoit que le capitaine Baudin avoit fait voile pour le Cap de Bonne-Esperance, et qu'il n'etoit plus possible d'esperer de le rejoindre. Apres avoir examine le pays bouleverse par le tremblement de terre de Riobamba, en 1797, ils passerent par les Andes d'Assuay a Cuenza. Le desir de comparer les quinquinas (cinchona) decouverts par M. Mutis a Santa- Fe de Bogota, et avec ceux de Popayan, et le cuspa et cuspare de la Nouvelle-Andalousie, et de la riviere Caroni (faussement nommee Cortex Augustura) avec le cinchona (quinquina) de Loxa et du Perou, ils prefererent s'ecarter du chemin ordinaire de Cuenza a Lima; mais ce fut avec grande difficulte qu'ils se rendirent, avec la voiture de leurs instrumens et collections, par la foret (Paramo) de Saragura a Loxa, et de-la a la province de Saen de Bracamoros. Ils eurent a traverser, trente-cinq fois en deux jours, la riviere de Guancabamba, si dangereuse par ses inondations soudaines. Ils virent les ruines de la superbe route d'Ynga, que l'on comparoit aux plus belles de France, et qui passoit sur le sommet des Andes de Cusco a Assuay. Cette route etoit aussi pourvue, pour la commodite des voyageurs, de fontaines et d'auberges. Ils descendirent la riviere Chamaya, qui les conduisit au fleuve des Amazones, sur lequel ils naviguerent jusqu'aux cataractes de Tomeperda, climat des plus fertiles, mais un des plus chauds du globe habitable. Du fleuve des Amazones, ils retournerent au sud-est par les Cordilieres des Andes, a Montar, ou ils s'appercurent qu'ils avoient passe l'Equateur Magnetique, l'inclinaison etant 0., quoiqu'a sept degres de latitude au sud. Ils visiterent les mines de Hualguayoc, ou on trouve de l'argent pur a la hauteur de deux mille toises. Quelques veines de ces mines contiennent des coquillages petrifies, et on les regarde avec celles de Pasco et d'Huantajayo, comme etant reellement les plus riches du Perou. De Caxamarca, ils descendirent a Truxillo, dans le voisinage duquel ils trouverent les ruines de Mansiche, ville peruvienne immense. Ce fut en descendant les Andes, vers l'ouest, que les trois voyageurs eurent, pour la premiere fois, le plaisir de voir l'Ocean-Pacifique. Ils en suivirent les bords steriles, autrefois arroses par les canaux des Yngas a Santa, Guerma et Lima. Ils s'arreterent quelques mois dans cette capitale interessante du Perou, ou les habitans se font remarquer par la vivacite de leur esprit et par leurs idees liberales. M. Humboldt fut assez heureux de pouvoir observer la fin du passage de Mercure sur le disque du soleil, dans le port de Callao. Il fut tres-surpris de trouver, a une si grande distance de l'Europe, les ouvrages les plus nouveaux sur la chimie, les mathematiques et la medecine, et observa beaucoup d'activite d'esprit parmi les habitans, qui, dans un climat ou il ne pleut ni ne tonne point, ont ete, avec injustice, accuses d'indolence. De Lima, nos voyageurs se rendirent, par mer, a Guayaquil, situe sur les bords d'une riviere ou le palmier croeit d'une beaute qu'il est impossible de decrire. A chaque instant ils entendoient le bruit souterrain du volcan de Cotopaxi, qui, le 6 fevrier 1803, repandit l'alarme par une explosion. Ils partirent immediatement pour le visiter une seconde fois; mais ayant ete informes du depart prochain de la fregate l'Atalante, ils se determinerent a retourner, apres avoir ete tourmentes pendant sept jours, d'une maniere terrible, par les moustiques de Babaoya et d'Ujibar. Ils eurent une heureuse traversee sur l'Ocean-Pacifique, jusqu'a Acapulco, dans le royaume de la Nouvelle-Espagne. Cette ville est renommee par la beaute de son port, qui semble avoir ete forme par des tremblemens de terre, pour la misere de ses habitans et pour son climat, qui est chaud et mal-sain. M. Humboldt avoit d'abord l'intention de ne rester que quelques mois a Mexico, et de retourner promptement en Europe; son voyage se trouvoit deja trop prolonge, ses instrumens, particulierement les chronometres, commencoient a etre en mauvais etat; et malgre tous ses efforts, il ne put parvenir a s'en procurer de neufs; ajoutez a cela que les progres de la science sont si rapides en Europe, que dans un voyage qui dure quatre ou cinq ans, on court grand risque de contempler les differens phenomenes de la nature, sous des aspects qui peuvent avoir perdu leur interet, au moment ou vous publiez le resultat de vos travaux. M. Humboldt esperoit etre en France en aoaut ou septembre 1803; mais les attraits du pays, si beau et si varie dans la nouvelle Espagne; l'hospitalite de ses habitans et la crainte de la fievre jaune, si fatale depuis juin jusqu'en novembre, pour ceux qui viennent d'habiter les parties elevees de ces contrees, le conduisirent a rester un an dans ce royaume. Nos voyageurs allerent d'Acapulco a Tasco, celebre par ses mines, aussi interessantes qu'elles sont anciennes. Elles s'elevent insensiblement de la vallee ardente de Mescala et Papagayo, ou dans l'ombre le thermometre de Reaumur se tient constamment de 28 a 31 degres, dans une region de 6 ou 700 toises au-dessus du niveau de la mer, qui produit des chenes, des pins, de la fougere aussi grosse que des arbres, et ou on cultive les grains d'Europe. De Tasco, ils se rendirent par Cuerna-Vacca a la capitale du Mexique. Cette ville, qui contient 150,000 habitans, est batie sur l'ancien site de Texochtitlan, entre les lacs de Tezcuco et Xochimilco, lacs qui ont diminue dans une certaine proportion, depuis que les Espagnols ont ouvert le canal de Hacheutoca, d'ou l'on voit deux montagnes couronnees de neige, dont une nommee Hopocatepec, contient un volcan en activite. Il est entoure d'un grand nombre d'arbres qui forment des promenades, et de villages indiens. La capitale du Mexique, situee a 1160 toises au-dessus du niveau de la mer, dans un climat doux et tempere, peut sans doute etre comparee a quelques-unes des plus belles villes de l'Europe. Les grands etablissemens scientifiques, tels que l'Academie de Peinture, de Sculpture et Gravure, le College des Mines (dau a la liberalite de la compagnie des mineurs du Mexique) et le Jardin Botanique, sont des institutions qui font honneur au gouvernement qui les a creees. Apres etre restes quelques mois dans la vallee du Mexique, et avoir fixe la longitude de la ville, operation par laquelle une erreur de pres de deux degres, dans l'ancienne, a ete relevee, nos voyageurs visiterent les mines de Moran et Real del Monte, et le Cerro d'Oyamel, ou les anciens Mexicains avoient une manufacture de couteaux de pierre obsidienne. Bientot apres, ils se rendirent, par Queretaro et Salamanca, a Guanaxoato, ville qui contient cinquante mille ames, et celebre par ses mines, plus riches que celles du Potosi n'ont jamais ete. La mine du comte de Valenciana, dont la profondeur perpendiculaire est de 1840 pieds, est la plus profonde et la plus riche de l'univers. Cette mine seule donne a son proprietaire un profit annuel et constant de pres de six cents mille dollars. De Guanaxoato ils retournerent, par la vallee de St.-Jago, a Valadolid, dans l'ancien royaume de Michuacan, une des provinces les plus fertiles et les plus charmantes du royaume. Ils descendirent de Pascuaro vers la cote de l'Ocean-Pacifique, aux plaines de Serullo, ou, dans une nuit, en 1759, un volcan s'eleva du niveau entoure de mille petites ouvertures, d'ou la fumee continue encore a sortir. Ils arriverent presqu'au fond du cratere du grand volcan de Serullo, dont ils analyserent l'air qui se trouva fortement impregne d'acide carbonique. Ils retournerent au Mexique par la vallee de Teluca, et visiterent le volcan, au plus haut point duquel ils gravirent, et qui se trouve etre a 14,400 pieds au-dessus du niveau de la mer. Dans les mois de janvier et fevrier, ils poursuivirent leurs recherches sur la pente orientale des Cordilieres; ils prirent les dimensions des montagnes Merados, de la Puebla, Popocatyce, Izazihuatty, du haut pic d'Orizaba et de la cofre de Perote; sur le sommet de cette derniere, M. Humboldt prit la hauteur meridienne du soleil. Enfin, apres avoir reside quelque tems a Xalappa, ils s'embarquerent a la Vera-Cruz pour la Havane. Ils reprirent les collections qu'ils avoient laissees dans cet endroit en 1801, et firent voile pour la France, par la voie de Philadelphie, en juillet 1804, apres six annees d'absence et de travail. Cette expedition a mis nos voyageurs a meme de recueillir une collection de 6000 plantes de differentes especes, dont une grande partie sont nouvelles, et de nombreuses observations mineralogiques, astronomiques, chimiques et morales. M. Humboldt se loue infiniment de la protection liberale que le gouvernement espagnol a accordee a ses recherches. Ce voyageur est ne en Prusse, le 14 septembre 1769.