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Alexander von Humboldt: „Extrait de plusieurs lettres de M. A. de Humboldt“, in: ders., Sämtliche Schriften digital, herausgegeben von Oliver Lubrich und Thomas Nehrlich, Universität Bern 2021. URL: <https://humboldt.unibe.ch/text/1803-Extrait_de_plusieurs-01-neu> [abgerufen am 23.04.2024].

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Titel Extrait de plusieurs lettres de M. A. de Humboldt
Jahr 1803
Ort Paris
Nachweis
in: Magasin encyclopédique, ou Journal des Sciences, des Lettres et des Arts 9:2 (Thermidor an 11, 1803 [Juli/August]), S. 241–258.
Sprache Französisch
Typografischer Befund Antiqua; Auszeichnung: Kursivierung; Fußnoten mit Ziffern.
Identifikation
Textnummer Druckausgabe: II.19
Dateiname: 1803-Extrait_de_plusieurs-01-neu
Statistiken
Seitenanzahl: 18
Zeichenanzahl: 26487

Weitere Fassungen
Extrait de plusieurs lettres de M. A. de Humboldt (Paris, 1803, Französisch)
Neueste Briefe des Herrn Oberbergraths von Humboldt (Berlin; Stettin, 1803, Deutsch)
Account of the Travels of M. A. de Humboldt in South America, extracted from some of his Letters (London, 1803, Englisch)
Extrait de lettres de M. A. de Humboldt (Paris, 1803, Französisch)
Extrait de plusieurs lettres de M. A. de Humboldt (Paris, 1803, Französisch)
Extracto de las últimas cartas que el Baron Alexandro Humboldt escribió á su hermano, Residente de S. M. Prusiana en Roma (Madrid, 1803, Spanisch)
[Extrait de plusieurs lettres de M. A. de Humboldt] (Haarlem, 1803, Niederländisch)
Curious Particulars respecting the Mountains and Volcanos, and the Effect of the late Earthquakes in South America, with Remarks of the Language and Science of the Natives, and other Subjects (London, 1803, Englisch)
Ueber das Athmen der Crocodile. Aus dem Briefe des Herrn von Humboldt aus Lima vom 25. September 1802 (Berlin, 1803, Deutsch)
Etwas von den Amerikanischen Krokodilen (Berlin; Stettin, 1804, Deutsch)
Humboldt’s Berigt uit Zuid-Amerika (Amsterdam, 1806, Niederländisch)
|241|

Extrait de plusieurs lettres de M. A. de Humboldt.

Il y avoit quelque temps qu’on n’avoit point eude nouvelles du voyage de M. Alexandre de Hum-boldt dans l’Amérique méridionale. Son frère, quise trouve présentement à Rome, vient de recevoirtrois lettres à la fois de lui: du 3 juin 1802, de Quito; du 13 juillet 1802, de Cuença; et du 25novembre 1802, de Lima, capitale du Pérou. Ellesannoncent que M. de Humboldt reviendra souspeu, et qu’il compte débarquer, au mois d’aoûtou de septembre de cette année, à Cadix ou à laCorogne; mais c’est la dernière de ces lettres, sur-tout, qui contient des détails intéressans. En endonnant l’extrait suivant, on a eu soin d’y inséreren même temps ce qui, dans les deux premières,pouvoit mériter l’attention du public.

Vous devez savoir mon arrivée à Quito par meslettres précédentes, mon cher frère. Nous y arrivâmes,en traversant les neiges de Quiridien et de Tolima: |242| car, comme la Cordillière des Andes forme troisbranches séparées, et que nous nous trouvions àSanta Fé de Bogota sur celle qui est la plus orien-tale, il nous fallut passer la plus élevée pour nousapprocher des côtes de la mer du Sud. Il n’y aque les bœufs dont on puisse se servir à ce passagepour faire porter son bagage. Les voyageurs se fontporter ordinairement par des hommes que l’onnomme largeros. Ils ont une chaise liée sur le dos,sur laquelle le voyageur est assis; ils font trois àquatre heures de chemin par jour, et ne gagnentque quatorze piastres en cinq à six semaines. Nouspréférâmes d’aller à pied; et, le temps étant très-beau, nous ne passâmes que dix-sept jours dansces solitudes, où l’on ne trouve aucune trace qu’ellesaient jamais été habitées: on y dort dans des ca-banes formées de feuilles d’héliconia que l’on portetout exprès avec soi. A la descente occidentale des Andes, il y a des marais dans lesquels on enfoncejusqu’aux genoux. Le temps avoit changé; il pleu-voit à verse les derniers jours; nos bottes nouspourrirent aux jambes, et nous arrivâmes les piedsnus et couverts de meurtrissures à Carthago, maisenrichis d’une belle collection de nouvelles plantes,dont je rapporte un grand nombre de dessins. De Carthago, nous allâmes à Popayan par Buga,en traversant la belle vallée de la rivière Cauca, etayant toujours à nos côtés la montagne du Chocaet les mines de platine qui s’y trouvent. Nous restâmes le mois de novembre de l’année1801 à Popayan, et nous y allâmes visiter les mon- |243| tagnes basaltiques de Julusuito, les bouches duvolcan de Puracé, qui, avec un bruit effrayant,dégagent des vapeurs d’eau hydro-sulfureuse, etles granites porphyritiques de Pisché, qui formentdes colonnes de cinq à sept pans, semblables àcelles que je me souviens d’avoir vues dans lesmonts Euganéens de l’Italie, et qui sont décritespar Strange. La plus grande difficulté nous resta à vaincrepour venir de Popayan à Quito. Il fallut passer lesParamos de Pasto, et cela dans la saison des pluies,qui avoit commencé en attendant. On nomme Pa-ramo dans les Andes tout endroit où, à la hauteurde dix-sept cents à deux mille toises, la végétationcesse, et où l’on sent un froid qui pénètre les os.Pour éviter les chaleurs de la vallée de Patia, oùl’on prend, dans une seule nuit, des fièvres quidurent trois ou quatre mois, et qui sont connuessous le nom de calcuturas (fièvres) de Patia, nouspassâmes au sommet de la Cordillière, par des pré-cipices affreux, pour aller de Popayan à Almager,et de là à Pasto, situé au pied d’un volcan ter-rible. L’entrée et la sortie de cette petite ville, où nouspassâmes les fêtes de Noël, et où les habitans nousreçurent avec l’hospitalité la plus touchante, esttout ce qu’il y a de plus affreux au monde. Ce sontdes forêts épaisses, situées entre des marais, lesmules y enfoncent à mi-corps; et l’on passe pardes ravins si profonds et si étroits, que l’on croitentrer dans les galeries d’une mine. Aussi les che- |244| mins sont-ils pavés des ossemens des mules qui yont péri de froid et de fatigue. Toute la provincede Pasto, y compris les environs de Guachucal etde Tuquères, est un plateau gelé, presque au dessusdu point où la végétation peut durer, et entouréde volcans et de soufrières qui dégagent conti-nuellement des tourbillons de fumée. Les malheu-reux habitans de ces déserts n’ont d’autres alimensque les patatas; et si elles leur manquent, commel’année dernière, ils vont dans les montagnes man-ger le tronc d’un petit arbre nommé achupalla(Pourretia pitcarnia): mais ce même arbre étantl’aliment des ours des Andes, ceux-ci leur dis-putent souvent la seule nourriture que leur pré-sentent ces régions élevées. Au nord du volcan dePasto, j’ai découvert dans le petit village indiende Voisaco, à treize cent soixante-dix toises audessus de la mer, un porphyre rouge, à base ar-gileuse, enchâssant du feldspath vitreux, et de lacornéenne qui a toutes les propriétés de la serpen-tine du fichtel-gebirge. Ce porphyre a des pôlestrès-marqués, et ne montre aucune force attrac-tive. Après avoir été mouillés jour et nuit pendantdeux mois, et après avoir manqué de nous noyerprès de la ville d’Ibarra par une crue d’eau très-subite, accompagnée de tremblemens de terre,nous arrivâmes, le 6 janvier 1802, à Quito, où le marquis de Selvaalègre avoit eu la bonté de nouspréparer une belle maison, qui, après tant de fa-tigues, nous offroit toutes les commodités que l’onpourroit desirer à Paris ou à Londres. |245| La ville de Quito est belle, mais le ciel y esttriste et nébuleux; les montagnes voisines offrentpeu de verdure, et le froid y est très considérable.Le grand tremblement de terre du 4 février 1797,qui bouleversa toute la province et tua, dans unseul instant, trente-cinq à quarante mille hommes,a aussi été funeste à cet égard aux habitans. Il atellement changé la température de l’air, que lethermomètre y est ordinairement à 4—10° de Réau-mur; et que rarement il monte à 16 ou 17°, tandisque Bouguer le voyoit constamment à 15 ou 16°.Depuis cette catastrophe, il y a des tremblemensde terre continuels; et quelles secousses! il est pro-bable que toute la partie haute n’est qu’un seul vol-can. Ce qu’on nomme les montagnes de Cotopaxi et de Pinchincha ne sont que des petites cîmes,dont les cratères forment des tuyaux differens, tousaboutissant au même creux. Le tremblement deterre de 1797 n’a malheureusement que trop prouvécette hypothèse; car la terre s’est ouverte partoutalors, et a vomi du soufre, de l’eau, etc. Malgréces horreurs et ces dangers dont la nature les a en-vironnés, les habitans de Quito sont gais, vifs etaimables. Leur ville ne respire que la volupté et leluxe, et nulle part peut-être il ne règne un goûtplus décidé et plus général de se divertir. C’estainsi que l’homme s’accoutume à s’endormir paisi-blement sur le bord d’un précipice. Nous avons fait un séjour de près de huit moisdans la province de Quito, depuis le commence-ment de janvier jusqu’au mois d’août. Nous avons |246| employé ce temps à visiter chacun des volcans quis’y trouvent; nous avons examiné, l’une apres l’au-tre, les cimes du Pichincha, Cotopoxi, Antisana et Iliniça, en passant quinze jours à trois semainesauprès de chacune d’elles, et en revenant dans lesintervalles toujours à la ville de Quito, dont noussommes partis le 9 juin 1802, pour nous rendre auxenvirons du Chimboraço, qui est situé dans la partieméridionale de la province. Je suis parvenu deux fois, le 26 et le 28 de mai1802, au bord du cratère du Pichincha, montagnequi domine la ville de Quito. Jusqu’ici personne, quel’on sache, si ce n’est la Condamine, ne l’avoit jamaisvu; et la Condamine lui-même n’y étoit arrivéqu’apres cinq ou six jours de recherches inutiles etsans instrumens, et n’y avoit pu rester que douzeà quinze minutes, à cause du froid excessif qu’ily faisoit. J’ai réussi à y porter mes instrumens; j’aipris les mesures qu’il étoit intéressant de connoître,et j’ai recueilli de l’air pour en faire l’analyse. Jefis mon premier voyage seul avec un Indien. Comme la Condamine s’étoit approché du cratère par lapartie basse de son bord, couverte de neige, c’est làqu’en suivant ses traces, je fis ma premiere tenta-tive. Mais nous manquâmes périr. L’Indien tombajusqu’à la poitrine dans une crevasse, et nous vîmesavec horreur que nous avions marché sur un pont deneige glacée; car à quelques pas de nous il y avoitdes trous par lesquels le jour donnoit. Nous noustrouvions donc, sans le savoir, sur des voûtes quitiennent au cratère même. Effrayé, mais non pas |247| découragé, je changeai de projet. De l’enceinte ducratère sortent, en s’élançant pour ainsi dire surl’abîme, trois pics, trois rochers qui ne sont pascouverts de neige, parce que les vapeurs qu’exhalela bouche du volcan les y fondent sans cesse. Jemontai sur un de ces rochers, et je trouvai à sonsommet une pierre qui, étant soutenue par un côtéseulement, et minée par dessous, s’avançoit en formede balcon sur le précipice. C’est la que je m’établispour faire mes expériences. Mais cette pierre n’aqu’environ douze pieds de longueur, sur six de lar-geur, et est fortement agitée par des secousses fré-quentes de tremblemens de terre, dont nous comp-tâmes dix-huit en moins de trente minutes. Pourmieux examiner le fond du cratère, nous nous cou-châmes sur le ventre, et je ne crois pas que l’imagi-nation puisse se figurer quelque chose de plus triste;de plus lugubre et de plus effrayant que ce que nousvîmes alors. La bouche du volcan forme un trou cir-culaire de près d’une lieue de circonférence, dont lesbords, taillés à pic, sont couverts de neige par enhaut; l’intérieur est d’un noir foncé: mais le gouffreest si immense, que l’on distingue la cîme de plu-sieurs montagnes qui y sont placées. Leur sommetsembloit être à trois cents toises au-dessous de nous:jugez donc où doit se trouver leur base. Je ne doutepoint que le fond du cratère ne soit de niveau avec laville de Quito. La Condamine avoit trouvé ce cratèreéteint et couvert même de neige; mais c’est une tristenouvelle que nous avons du porter aux habitans deQuito, que le volcan qui leur est voisin, est embrasé |248| actuellement. Des signes évidens nous en convain-quirent cependant à n’en pouvoir douter. Les vapeursde soufre nous suffoquoient presque, lorsque nous nousapprochions de la bouche; nous voyions même sepromener çà et là des flammes bleuâtres; et de deuxà trois minutes nous sentions de fortes secousses detremblemens de terre, dont les bords du cratère sontagités, et dont on ne s’aperçoit plus à cent toises delà. Je suppose que la grande catastrophe du 7 février1797 a aussi allumé les feux du Pichincha. Aprèsavoir visité cette montagne seul, j’y retournai deuxjours après, accompagné de mon ami Bonpland et de Charles de Montufar, fils du marquis de Selvaalegre.Nous étions munis de plus d’instrumens encore que lapremière fois, et nous mesurâmes le diamètre du cra-tère et la hauteur de la montagne. Nous trouvâmes àl’un 754 toises (1), et à l’autre 2477. Dans l’intervallede deux jours qu’il y eut entre nos deux courses auPichincha, nous eûmes un tremblement de terretrès-fort à Quito. Les Indiens l’attribuèrent à des pou-dres que je devois avoir jetées dans le volcan. A notre voyage au volcan d’Antisana, le tempsnous favorisa si bien, que nous montâmes jusqu’à lahauteur de 2773 toises. Le baromètre baissa, danscette région élevée, jusqu’à 14 pouces 7 lignes, et lepeu de densité de l’air nous fit jeter le sang par leslèvres, les gencives et les yeux même; nous sentionsune foiblesse extrême, et un de ceux qui nous accom-pagnoit dans cette course s’évanouit. Aussi avoit-on
(1) Le cratère du Vésuve n’a que 312 toises de diamètre.
|249| cru impossible jusqu’ici de s’élever plus haut que jus-qu’à la cime nommée le Corazon, à laquelle la Con-damine étoit parvenu, qui est de 2470 toises. L’ana-lyse de l’air rapporté du point le plus élevé de notrecourse, nous donna 0,008 d’acide carbonique sur0,218 de gaz oxygène.
Nous visitâmes également le volcan de Cotopoxi,mais il nous fut impossible de parvenir à la bouche ducratère. Il est faux que cette montagne ait baissé àl’époque du tremblement de terre de 1797. Le 9 juin 1802, nous partîmes de Quito pour nousrendre dans la partie méridionale de la province, oùnous voulions examiner et mesurer le Chimboraço etle Tunguragua, et lever le plan de tous les paysbouleversés par la grande catastrophe de 1797. Nousavons réussi à nous approcher jusqu’à environ 250toises près de la cime de l’immense colosse du Chimbo-raço. Une trainée de roches volcaniques, dépourvuede neiges, nous facilita la montée: nous montâmesjusqu’à la hauteur de 3031 toises, et nous nous sen-tions incommodés de la même manière que sur lesommet de l’Antisana. Il nous restoit même encoredeux ou trois jours après notre retour dans la plaine,un malaise que nous ne pouvions attribuer qu’àl’effet de l’air dans ces régions élevées, dont l’ana-lyse nous donna 20 centièmes d’oxygène. Les Indiensqui nous accompagnoient nous avoient déjà quittésavant d’arriver à cette hauteur, disant que nousavions intention de les tuer. Nous restâmes doncseuls, Bonpland, Charles Montufar, moi, et unde mes domestiques qui portoit une partie de mes |250| instrumens; nous aurions poursuivi malgré cela notrechemin jusqu’à la cime, si une crevasse trop pro-fonde pour la franchir ne nous en eût empêchés:aussi fîmes-nous bien de descendre. Il tomba tantde neige à notre retour, que nous eûmes de la peineà nous reconnoitre. Peu garantis contre le froid per-çant de ces régions élevées, nous souffrions horri-blement; et moi, en mon particulier, j’eus le dé-sagrément d’avoir un pied ulcéré d’une chûte quej’avois faite peu de jours auparavant; ce qui m’in-commoda horriblement dans un chemin où à chaqueinstant on heurtoit contre une pierre aigue, et oùil falloit calculer chaque pas. La Condamine a trouvéla hauteur du Chimboraço de près de 3217 toises. Lamesure trigonométrique que j’en ai faite, à deux dif-férentes reprises, m’a donné 3267, et j’ai lieu demettre quelque confiance dans mes opérations. Toutcet énorme colosse (ainsi que toutes les hautes mon-tagnes des Andes) n’est pas de granit, mais de por-phyre, depuis le pied jusqu’à la cime, et le porphyrey a 1900 toises d’épaisseur. Le peu de séjour quenous fîmes à l’énorme hauteur à laquelle nous nousétions élevés, fut des plus tristes et des plus lu-gubres; nous étions enveloppés d’une brume qui nenous laissoit entrevoir de temps en temps que lesabîmes affreux qui nous entouroient. Aucun êtreanimé, pas même le condor, qui sur l’Antisana planoit continuellement sur nos têtes, ne vivifioitles airs. De petites mousses étoient les seuls êtresorganisés qui nous rappeloient que nous tenions en-core à la terre habitée. |251| Il est presque vraisemblable que le Chimboraço estcomme le Pichincha et l’Antisana, de nature volca-nique. La trainée sur laquelle nous y montâmes, estcomposée d’une roche brûlée et scorifiée, mêlée depierre ponce: elle ressemble à tous les courans delaves de ce pays-ci, et continue au-delà du pointoù il fallut mettre un terme à mes recherches, versla cime de la montagne. Il est possible que cette cimesoit le cratère d’un volcan éteint, et cela est mêmeprobable; cependant l’idée de cette seule possibilitéfait frémir avec raison: car, si ce volcan se rallu-moit, ce colosse détruiroit toute la province. La montagne de Tunguragua a baissé à l’époquedu tremblement de terre de 1797. Bouguer luidonne 2620 toises; je ne lui en ai trouvé que 2531:elle a donc perdu près de 100 toises de sa hau-teur. Aussi les habitans des contrées voisines assu-rent-ils avoir vu s’écrouler son sommet devant leursyeux. Pendant notre séjour à Riobamba, où nous pas-sâmes quelques semaines chez le frère de CharlesMontufar, qui y est corrégidor, le hasard nous fitfaire une découverte très-curieuse. On ignore abso-lument l’état de la province de Quito avant la con-quête de l’Inca Tupayupangi (2). Mais le roi desIndiens, Léandro Zapla, qui vit à Lican, et qui,pour un Indien, a l’esprit singulièrement cultivé,conserve des manuscrits rédigés par un de ses an-cêtres au seizième siècle, qui contiennent l’histoire
(2) La conquête de Quito par les Péruviens se fit en 1470.
|252| de cette époque. Ces manuscrits sont écrits en languePurugay. Cette langue était autrefois la langue gé-nérale du Quito; mais dans la suite des temps ellea cédé à la langue de l’Inca ou Anichua, et elleest perdue maintenant. Heureusement qu’un autredes aïeux de Zapla s’est amusé à traduire ces mé-moires en espagnol. Nous y avons puisé de précieuxrenseignemens, sur-tout sur la mémorable époquede l’éruption de la montagne nommée Nevado delAttas, qui doit avoir été la plus haute montagnede l’univers, plus élevée que le Chimboraço, etque les Indiens nommoient Capa-urcu, chef desmontagnes. Ouainia Abomatha, le dernier cocho-cando (roi), indépendant du pays, régnoit alors àLican. Les prêtres l’avertirent que cette catastropheétoit le présage sinistre de sa perte. «La face del’univers, lui dirent-ils, se change: d’autres dieuxchasseront les nôtres. Ne résistons pas à ce que ledestin ordonne.» En effet, les Péruviens introdui-sirent le culte du Soleil dans le pays. L’éruption duvolcan dura sept ans, et le manuscrit de Zapla pré-tend que la pluie de cendres à Lican étoit si abon-dante, que pendant sept ans il y fit une nuit per-pétuelle. Quand on envisage la quantité de matières volcaniques qui se trouvent dans la plaine de Ta-pia, autour de l’énorme montagne écroulée alors,et que l’on pense que le Cotopoxi a souvent enve-loppé Quito dans des ténèbres de quinze à dix-huitheures, on peut croire au moins que l’exagérationn’est pas de beaucoup trop forte. Ce manuscrit, lestraditions que j’ai recueillies à la Parime, et les hié- |253| roglyphes que j’ai vus dans le désert du Casiquiare,où aujourd’hui il ne reste guère de vestiges d’hom-mes; tout cela joint aux notions données par Cla-vijero sur l’émigration des Mexicains vers le midi de l’Amérique, m’a fait naître des idées sur l’originede ces peuples, que je me propose de développerdès que j’en aurai le loisir.
Je me suis beaucoup occupé aussi de l’étude deslangues américaines, et j’ai vu combien ce que laCondamine dit de leur pauvreté est faux. La langueCaribe est à la fois riche, belle, énergique et po-lie: elle ne manque point d’expressions pour lesidées abstraites; on y parle de postérité, d’éternité,d’existence, etc.; et les signes numériques suffisentpour désigner toutes les combinaisons possibles deschiffres. Je m’applique sur-tout à la langue Inca;on la parle communément ici dans la société, etelle est si riche en tournures fines et variées, queles jeunes gens, pour dire des douceurs aux femmes,commencent à parler Inca, quand ils ont épuisé lesressources du Castillan. Ces deux langues, et quelquesautres également riches, suffiroient seules pour prou-ver que l’Amérique a possédé autrefois une plusgrande culture que celle que les Espagnols y trou-vèrent en 1492. Mais j’en ai recueilli bien d’autrespreuves encore, non-seulement au Mexique et auPérou, mais même à la cour du roi de Bogota(pays dont on ignore absolument l’histoire en Eu-rope, et dont même la mythologie et les traditionsfabuleuses sont très-intéressantes). Les prêtres sa-voient tirer une méridienne et observer le moment |254| du solstice; ils réduisoient l’année lunaire à uneannée solaire par intercallations; et je possède moi-même une pierre heptagone, trouvée près de Santa-Fé, qui leur servoit pour calculer ces jours interca-laires. Mais ce qui plus est, même à l’Erevato,dans l’intérieur de la Parime, les sauvages croientque la lune est habitée par des hommes, et saventpar les traditions de leurs ancêtres que sa lumièrevient du soleil. De Rio-Bamba, je dirigeai ma course par le fa-meux Paramo de l’Assuay vers Cuença; mais je vi-sitai auparavant les grandes mines de soufre de Tir-rau. C’est à cette montagne de soufre que les Indiensrévoltés en 1797, après le tremblement de terre,voulurent mettre le feu. C’étoit sans doute le projetle plus désespéré qui eût été jamais conçu; car ilsespéroient former par ce moyen un volcan qui en-gloutiroit toute la province d’Alaussy. Au haut duParamo de l’Assuay, à une élévation de 2300 toises,sont les ruines du magnifique chemin de l’Inca. Ilconduisoit presque jusqu’au Cuzco, étoit entièrementconstruit de pierres de taille, et très-bien alligné;il ressembloit aux plus beaux chemins romains. Dansles mêmes environs se trouvent aussi les ruines dupalais de l’Inca Tupayupangi, dont la Condamine adonné la description dans les Mémoires de l’Académiede Berlin. Dans la carrière qui en a fourni les pierres,on en voit encore plusieurs à demi-travaillées. Jene sais si la Condamine a aussi parlé du soidisantbillard de l’Inca. Les Indiens nomment cet endroit,en langue quichua, Inca-Chungana, le jeu de l’Inca: |255| je doute cependant qu’il ait eu cette destination.C’est un canapé taillé dans le roc, avec des orne-mens en forme d’arabesques, dans lesquelles oncroit que couroit la boule. Il n’y a rien de plus élé-gant dans nos jardins anglais, et tout y prouve lebon goût de l’Inca; car le siége est placé de manièreà y jouir d’une vue délicieuse. Non loin de là, dansun bois, on trouve une tache ronde, de fer jaune,dans du grès. Les Péruviens l’ont ornée de figures,croyant que c’étoit l’image du soleil. J’en ai pris ledessin. Nous ne sommes restés que dix jours à Cuença, etde la nous nous sommes rendus à Lima par la pro-vince de Jaen, où, dans le voisinage de la rivièredes Amazones, nous avons passé un mois. Noussommes arrivés à Lima le 23 octobre 1802. Je compte aller, d’ici au mois de décembre, à Acapulco , et de là au Mexique, pour me rendre,au mois de mai 1803, à la Havane. C’est là que,sans perdre de temps, je m’embarquerai pour l’Es-pagne. J’ai abandonné, comme vous voyez, l’idéede retourner par les Philippines. J’aurais fait uneimmense traversée de mer sans voir autre chose queManille et le Cap; ou si j’avois voulu faire unetournée aux Indes orientales, j’aurois manqué desfacilités nécessaires pour ce voyage, qu’il étoit im-possible de me procurer ici. Nous avons eu quarante à cinquante jeunes cro-codiles, sur la respiration desquels j’ai fait des ex-périences très-curieuses. Au lieu que d’autres ani-maux diminuent le volume de l’air dans lequel ils |256| vivent, le crocodile l’augmente. Un crocodile misdans mille parties d’air atmosphérique, qui en con-tiennent deux cent soixante-quatorze de gaz oxy-gène, quinze d’acide carbonique et sept cent onzed’azote, augmente en une heure quarante-trois mi-nutes cette masse de cent vingt-quatre parties; etces onze cent vingt-quatre parties contiennent alors(comme je l’ai vu par une analyse exacte) 106,8d’oxygène, 79 d’acide carbonique, et 938,2 de gazazote, mêlé d’autres substances gazeuses inconnues.Le crocodile produit donc, en une heure troisquarts, 64 parties d’acide carbonique; il absorbe167,2 d’oxygène: mais comme 46 parties se retrou-vent dans 64 parties d’acide carbonique, il ne s’ap-proprie que 121 partie d’oxygène; ce qui est très-peu, vu la couleur de son sang. Il produit 227 partiesd’azote, ou autres substances gazeuses, sur lesquellesles bases acidifiables n’exercent point d’action. J’ai fait ces expériences dans la ville de Munpox,avec de l’eau de chaux et du gaz nitreux très-soi-gneusement préparé. Le crocodile est si sensible augaz acide carbonique, et à ses propres exhalaisons,qu’il meurt quand on le met dans de l’air corrompupar un de ses camarades. Cependant il peut vivredeux ou trois heures sans respirer du tout. J’ai faitces expériences avec des crocodiles de 7 à 8 poucesde long. Malgré cette petitesse, ils sont capablesde couper le doigt (avec leurs dents), et ils ont lecourage d’attaquer un chien. Ces expériences sonttrès-pénibles à faire, et demandent beaucoup decirconspection. Nous portons des descriptions très- |257| détaillées du caïman ou crocodile de l’Amériqueméridionale; mais les descriptions de celui de l’Egypte, qu’on avait à mon départ d’Europe, n’étantpas également circonstanciées, je n’ose décider sic’est la même espèce. A présent, certainement l’Ins-titut d’Egypte en aura fait qui leveront tout doute àcet égard. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y atrois différentes espèces de crocodiles sous les tro-piques du nouveau continent, et que le peuple ydistingue sous le nom de bava, caïman et crocodile.Aucun naturaliste n’a encore distingué suffisammentces espèces, et cependant ces monstres sont les vraispoissons de ces climats, tantôt (comme à la Nou-velle-Barcelone) d’un si bon naturel qu’on se baigneà leur vue, tantôt (comme à la Nouvelle-Guianne)si méchans et si cruels que, dans le temps que nousy fûmes, ils dévorèrent un Indien au milieu de larue, au quai. A Uritucu, nous avons vu une filleindienne de dix-huit ans, qu’un crocodile tenoit parle bras; elle eut le courage de chercher de l’autremain son couteau dans sa poche, et d’en donnertant de coups dans les yeux du monstre, qu’il lalâcha en lui coupant le bras près de l’épaule. Laprésence d’esprit de cette fille fut tout aussi éton-nante que l’adresse des Indiens pour guérir heureu-sement une plaie aussi dangereuse: on eût dit quele bras avoit été amputé et traité à Paris. Près de Santa-Fé se trouvent dans le Campo deGigante, à 1370 toises de hauteur, une immensitéd’os fossiles d’éléphans, tant de l’espèce d’Afrique, |258| que des carnivores qu’on a découverts à l’Ohio.Nous y avons fait creuser, et nous en avons envoyédes exemplaires à l’Institut national. Je doute qu’onait trouvé jusqu’ici ces os à une si grande hauteur:depuis, j’en ai reçu deux d’un endroit des Andes situé vers le 2° de latitude du Quito et du Chili, demanière que je puis prouver l’existence et la des-truction de ces éléphans gigantesques depuis l’Ohiojusques aux Patagons. Je rapporte une belle collec-tion de ces os fossiles pour M. Cuvier. On a décou-vert, il y a quinze ans, dans la vallée de la Ma-deleine, un squelette entier de crocodile, pétrifiédans une roche calcaire; l’ignorance l’a fait briser,et il m’a été impossible de m’en procurer la tête,qui existoit encore il y a peu de temps.