Extrait d’une lettre de M. Humboldt au citoyen Lalande, renfermant des observations astronomiques, nautiques et météorologiques . Ces observations font suite à celles que nous avons rapportées dans le n°. 28. De Cumana (Amérique méridionale), 28 brumaire an 8. Instit. Nat. Embarqué le 17 prairial an 7 sur la frégate le Pizarra , nous avons traversé l’Océan heureusement jusqu’au 28 messidor, où nous arrivâmes sur les côtes du Paria. Dans les deux mémoires que j’ai envoyés au citoyen Delambre, depuis l’Espagne, j’ai consigné les premières observations faites avec le nouvel Inclinatoire de Borda, dans l’Europe méridionale. J’ai observé que sur l’ancien continent les localités influent plus encore sur l’inclinaison que sur la déclinaison magnétique. On ne remarque aucune correspondance entre les positions géographiques des lieux et les degrés d’inclinaison; j’ai trouvé la même chose dans le nouveau monde, en transportant la boussole de Borda dans l’intérieur de la province de la Nouvelle Andalousie. Les observations que le citoyen Nouet vous aura envoyées d’Egypte prouveront probablement la même chose. Les déclinaisons sont affectées aussi par les localités, mais beaucoup moins. La marche des unes et des autres est beaucoup plus régulière en mer. Je ne vous donne ici que des observations dont l’erreur peut s’élever à peine à 15 minutes; avec la suspension que le citoyen Megnié m’a faite pour la boussole de Borda, j’ai même eu une exactitude plus grande en tems de calme. C’est dans cette circonstance aussi que l’on peut compter parfaitement le nombre des oscillations. Si, en les comptant cinq à six fois, et en changeant l’instrument de place, on retrouve toujours le même nombre, on ne peut douter de son exactitude. Quoique les calmes ne soient pas rares sous les tropiques, je n’ai pu faire en quarante jours que dix observations bien exactes. lieux d’observations. An 7. latitude. longitude depuis Paris. inclinaison magnétique. force magnétique. Medina-del-Campo... 73° 50′ 240 Guaderana....... 73 50 240 Férol......... 43° 29′ 0″ 42′ 22″ 76 15 237 en arc Océan atlantique entre l’Europe, l’Amérique et l’Afrique. 38 52 15 16° 20 75 18 242 37 14 10 16 30 15 74 90 242 32 15 54 17 7 30 71 50 25 15 20 36 67 239 21 36 25 39 64 20 237 20 8 28 33 45 63 236 14 20 48 3 58 80 239 en tems 1234 3h 32 57 50 15 234 en arc 10 46 61° 23 45 46 40 229 10 59 30 64 31 30 46 50 237 Vous voyez par là combien il faut multiplier le nombre d’observateurs pour avoir beaucoup de données. Il n’y a rien de plus dangéreux pour les sciences exactes que de noyer de bonnes observations dans une multitude de médiocres. Je me flatte que les dix points de l’Océan que je vous indique pourront servir à reconnoître si les inclinaisons changent rapidement. Les latitudes et longitudes en ont été déterminées à la même heure avec beaucoup d’exactitude, avec un sextant de Ramsden, divisé de 15″ en 15″, et par le garde-tems du citoyen Louis Berthoud. Vous verrez avec intérêt que, depuis le 37° de latitude, les inclinaisons diminuent avec une rapidité extraordinaire, qu’entre 37° et 48° de latitude, elles augmentent moins vers l’Est que vers l’Ouest... Je crois avoir observé que, dans la haute chaîne des Alpes calcaires, de petites élévations au dessus du niveau de la mer altèrent, près de l’équateur, les inclinaisons beaucoup plus que les grandes montagnes dans les Pyrénées et la Vieille-Castille. Je prends pour exemple quatre points placés presque Nord et Sud, à la distance de 24 minutes, dont j’ai mesuré les hauteurs peu considérables. toises. inclinaisons. oscillations. Cumana ...... 4 44° 20 229 Queteppe...... 185,2 43 30 229 Impossibile.... 245 43 15 233 Cumanacoa.... 106 43 20 228 Cocollar ...... 392 42 60 229 Borda a cru pendant quelque tems (voyez les questions de l’académie à la Peyrouse) que l’intensité de la force magnétique étoit la même sur tout le globe. Il attribuoit alors le peu de différence qu’il avoit appercue à Cadix, à Ténériffe et à Brest, à l’imperfection de sa boussole; mais ayant conçu dans la suite des doutes à cet égard, il m’engagea à fixer mon attention sur cet objet. Vous voyez que la force ne diminue pas avec le degré l’inclinaison, mais qu’elle varie depuis 245 oscillations en 10′ de tems (à Paris), jusqu’à 229 (à Cumana). Ce changement ne sauroit être attribué à une cause accidentelle: la même boussole fit à Paris 245 oscillations, à Gironne, 232; depuis, à Barcelonne, 245, et à Valence, 235; elle donne, après un voyage de plusieurs mois, le même nombre d’oscillations qu’elle marquoit avant de partir; ce nombre est le même en plein champ, dans un appartement ou dans une cave. La force magnétique est donc pendant long-tems la même dans un même lieu: elle paroît constante comme l’attraction ou la cause de la gravité. Malgré tous mes soins, je n’ai pu faire des observations de déclinaisons magnétiques bien exactes. Je n’ai trouvé aucun instrument qui permît de les mesurer à moins de 40 minutes près. Cependant, il est certain que le point de la variation o est déja beaucoup plus avancé vers l’Ouest que la carte de Lambert (Ephémérides de Berlin, 1779) ne l’indique. Une très-bonne observation est celle de 1775, faite sur le vaisseau anglais le Liverpool, qui trouva 0 à 66° 40′ de long. occid. et 29° de latitud. sept. Il y a deux points sur cette côte où j’ai observé la déclinaison avec beaucoup de soin, avec une boussole de Lenoir, suivant la méthode de Prony et de Zach (en suspendant une aiguille à un fil, en visant par des mires, et en mesurant avec un sextant l’azimuth d’un signal). Cumana 4° 13′ 45″ à l’Est (en vend . à midi) et une vingtaine de lieues plus à l’Est, a Caripe (capitale des missions des capucins, habitée par les Indiens chaimas et carives) 3° 15′ à l’Est. J’ai examiné avec beaucoup de soin les assertions de Franklin et du capitaine Jonathan Williams (transact. of the American society, vol. 3. pag. 82.), sur l’usage du thermomètre pour découvrir les bas fonds. J’ai été étonné de voir comment l’eau se réfroidit à mesure qu’elle perd de sa profondeur; comment les bas fonds et les côtes s’annoncent d’avance. Le plus mauvais thermomètre d’esprit-de-vin, divisé arbitrairement, mais étant bien sensible par la forme de sa boule, ou plutôt sa proportion au tube, peut devenir, au milieu de la tempête, la nuit, ou lorsque l’on a de la difficulté à sonder, lorsque le bas fond s’approche insensiblement, un instrument bienfaisant dans la main du plus ignorant pilote. Je ne puis assez inviter le bureau des longitudes à fixer son attention sur un objet aussi important. Tout l’équipage de notre frégate a été étonné de voir baisser rapidement le thermomètre à l’approche du grand banc qui va de Tabago à la Grenade, et de celui qui est à l’Est de la Marguerite. L’observation est d’autant plus facile à faire, que la température de l’eau de mer est (jour et nuit) dans des espaces de 12,000 lieues carrèes, la même, tellement la même, qu’en 46 jours de navigation vous ne voyez pas changer le thermomètre le plus sensible de 0,3 de degré de Réaumur. L’eau se réfroidit, dans le voisinage des bas fonds, de cinq à six degrés de Fahrenheit, et même davantage. Cette idée de Franklin, oubliée à présent, peut un jour devenir très-utile à la navigation. Je ne dis pas que l’on doive s’en rapporter entièrement au thermomètre et ne plus sonder, ce seroit une folie; mais je puis assurer, en me fondant sur ma propre expérience, que le thermomètre annonce le danger long-tems avant la sonde (l’eau cherchant un équilibre de température et se réfroidissant dans les proximités des basses côtes). Je puis assurer que ce moyen n’est pas plus incertain qu’un loch emporté par des courans et nombre de méthodes qu’un long usage a rendu vénérables. On ne doit pas croire qu’il n’y a pas de bas fonds si le thermomètre ne baisse pas; mais on doit être sur ses gardes lorsqu’il baisse tout d’un coup. Un pareil avis est bien plus précieux que les petites croix dont fourmillent nos côtes marines, et dont la plupart annoncent des bas fonds qui, ou n’existent pas, ou, comme les huit roches à fleur d’eau près de Madère (voyez la carte de l’Océan atlantique, 1792), sont mal placés. Le moyen de mettre un thermomètre dans un seau d’eau est bien simple. Avec une balance de Dollond et des thermomètres enfermés dans des sondes munies de soupapes, j’ai mesuré la densité et température de l’eau de mer à la surface et dans la profondeur. Si je ne me trompe pas, vous vous êtes déjà occupé de ce problême (Journal des Savans, 1775). Comme mes balances ont été comparées à celles du citoyen Hassenfratz (voyez son nouveau travail hydrostatique dans les annales de chimie, an 7), mes thermomètres à ceux de l’observatoire national, et que j’ai été plus sûr des longitudes qu’on ne l’est généralement, la petite carte que je construirai un jour, sur la densité et température de l’eau de mer, sera assez curieuse. A 17 ou 18° de latitude sept., entre l’Afrique et les Indes occidentales, il y a une bande (sans courans extraordinaires) où l’eau est plus dense qu’à une plus grande et une plus petite latitude. Voici quelques données sur la température. Océan entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. latitude boréale. longitude du mérid. de Paris. température de la surface de la mer. Therm. de Réaumur. température de l’atmosphère. 43° 29′ 10° 31′ 12° 18° 39 10 16 18 30″ 12 13 36 3 17 3 0 12 14 35 8 17 15 0 13 16,5 32 15 17 7 30 14,2 13,5 30 35 16 54 0 15 16 28 55 17 22 30 15 17 26 51 19 13 16 15 20 8 28 33 17 16 18 53 20″ 30 5 17,4 17 18 8 33 2 17,9 19 17 26 35 26 18 16 15 22 22 49 15 18,5 20 14 57 44 30 19 17 13 51 50 2 30 19,8 18,9 10 46 61 23 45 20,7 20,3 10 28 66 31 0 21 de 17 à 27 10 29 66 35 sur les bas fonds 17° 8 23 (La suite au numéro prochain). Suite de la lettre de M. Humboldt au citoyen Lalande. A Caraccas, le 23 frimaire an 8. Je crois avoir eu une très-bonne observation de l’éclipse de soleil du 6 brumaire an 8, à Cumana. J’ai vérifié le tems pendant huit jours; opération souvent pénible dans ces contrées, à cause des orages qui arrivent après la culmination du soleil, et qui font manquer les hauteurs correspondantes. J’ai eu des hauteurs correspondantes du soleil, bonnes à 1″, le jour même de l’éclipse. La fin a été, en tems moyen de Cumana, à 2 h. 14′ 22″. J’ai observé la distance des cornes, par le passage aux fils dans le quart de cercle, d’après la méthode de La Caille. Je pourrai vous en envoyer les observations depuis la Havane. Le 16 brumaire, j’ai eu une bonne immersion du second satellite de Jupiter, à Cumana, en tems vrai, à 11 h. 41′ 18″, 2: j’observois avec une lunette de Dollond, grossissant 108 fois. J’espère que cette immersion aura été observée à Paris. Les orages qui ont suivi le tremblement de terre que nous avons essuyé à Cumana, m’ont fait perdre les immersions des 11 et 18 brumaire. Je crois avoir fixé avec assez d’exactitude les longitudes suivantes, déterminées par mon chronomètre de Louis Berthoud , et par le calcul des angles horaires. J’ai aussi dans mes manuscrits beaucoup de distances de la lune au soleil et aux étoiles, mais comment calculer, quand on a tant d’instrumens à suivre? Cumana , château Saint-Antoine, long. depuis le mérid. de Paris, (en supposant Madrid à 24′ 8″) en tems 4 h. 26′ 4″, latitude 10° 27′ 37″. Puerto-Espana , dans l’isle de la Trinité , long. 4 h. 15′ 18″. Tabago , cap à l’E., long. 4 h. 11′ 10″. Macannao , partie occidentale de l’isle de la Marguerite , long. 4 h. 26′ 53″. Punta-Araya , dans la prov. de Nouvelle-Andalousie, long. 4 h. 26′ 22″. Coche , isle, cap à l’E., long. 4 h. 24′ 48″. Moins exactement: Bocca-de-Drago , long. 4 h. 17′ 32″. Cabo de Tres-Puntas , long. 4 h. 19′ 38″. Carracas , à la Trinité , lat. 10° 31′ 4″ (exactement). Je me flatte que ces positions intéresseront le bureau des longitudes, parce que les cartes sont très-défectueuses dans cette partie des Indes occidentales. Les observations de Borda et de Chabert , à Ténériffe et à la pointe des sables de Tabago, me font croire que mon chronomètre est excellent. J’ai retrouvé, à 2 et à 5″ près, les positions déterminées par ces navigateurs. Pendant le tremblement de terre que nous avons essuyé le 4 novembre 1799, à Cumana, l’inclinaison magnétique a changé, mais la déclinaison n’a pas varié sensiblement. Avant le tremblement, l’inclinaison était 44° 20, nouvelle division; après les secousses, elle s’est réduite à 43° 35. Le nombre des oscillations s’est trouvé, en 10 min. de tems, tel qu’il étoit, 229. Ces expériences et d’autres encore paroissent prouver que c’est cette petite partie du globe, et non l’aiguille, qui a changé; car dans les endroits éloignés, où le tremblement de terre ne se ressent jamais, (dans la chaîne primitive de granite feuilleté) l’inclinaison est restée aussi forte qu’elle étoit. Dans quatre semaines d’ici, je serai aux cataractes du Rio-Négro, dans une nature aussi grande que sauvage, parmi des Indiens qui se nourrissent d’une terre argilleuse, mêlée avec la graisse des crocodiles. J’y mène trois mules chargées d’instrumens. La majesté des nuits des tropiques m’a engagé à commencer un travail sur la lumière des étoiles du Sud. Je vois que plusieurs (dans la Grue, l’Autel, le Toucan, les pieds du Centaure) ont changé depuis La Caille. Je me sers, comme pour les satellites, de la méthode des diaphragmes indiquée par Herschel. J’ai trouvé qui si Procyon est à Sirius comme 88: 100, les intensités de lumière sont pour: Canopus ... 98. α De l’Indien. 50. α du Paon ... 78. 8 .......... 58. α du Centaure. 96. ζ ........... 47. α De la Grue. 81. α Du Toucan. 70. Acherner ... 94. α Phœnix .... 65. ζ ........... 75. J’ai lu dans les transactions de la société du Bengale, que le baromètre y monte et descend régulièrement en 24 h. Ici, dans l’Amérique méridionale, cette marche est des plus étonnantes. J’ai quelques observations là-dessus. Il y a quatre marées atmosphoriques en 24 h. qui ne dépendent que de l’attraction de soleil. Le mercure descend depuis 9 h. du matin jusqu’à 4 h. du soir; il monte depuis 4 h. jusqu’à 11 h.; il descend depuis 11 h. jusqu’à 16 h. 30′; il remonte depuis 16 h. 30′ jusqu’à 21 h. Les vents, l’orage, le tremblement de terre n’ont aucune influence sur cette marche.