MÉMOIRE Sur l’absorption de l’oxigène par les terres simples, et son influence dans la culture du sol; Par Alexandre-Fréderic HUMBOLDT. I l est de grands phénomènes, qui, imposans dès le premier coup-d’œil, et, fixant tout notre intérêt, restent cependant isolés dans la masse de nos connoissances physiques. Telles sont plusieurs découvertes sur l’électricité, le magnétisme ou le fluide galvanique. Tel est un grand nombre de celles que nous présente l’analyse chimique des substances minérales. Il est d’autres phénomènes, qui, peu frappans par eux-mêmes, et se dérobant longtems à nos regards, inspirent de l’intérêt, parce qu’ils se lient aisément à un grand nombre de faits importans. C’est à cette dernière classe que je dois rapporter les expériences qui font l’objet de ce mémoire. Quoique simples et petites en apparence, elles répandront (à ce que je me flatte) quelque jour sur un des problêmes les plus importans de l’agriculture et de la physiologie chimique des végétaux. De toutes les idées que fait naitre à l’homme la contemplation de la nature, il n’en est pas de plus digne de l’occuper, que celles qui se rapportent à la culture du sol. Ce systême chimique, que l’on doit aux travaux des Français, commence peu-à-peu à dévoiler les mystères de l’économie végétale. Nous connoissons quelques phénomènes importans qui accompagnent la germination; nous savons indiquer des moyens qui l’accélèrent, d’autres qui la retardent; nous devinons les principales causes dont dépendent les actes de la nutrition, de la sécrétion et de la respiration gazeuse des végétaux. Mais, quelque brillantes que soient les découvertes que nous devons à nos contemporains, on ne doit pas se nier que les plus grands problêmes de l’agriculture restent encore dans des ténèbres impénétrables en apparence. Combien peu ne connoissons-nous pas la nature des engrais animaux, et principalement l’influence frappante de la chaux et du gypse sur la végétation? Le laboureur ne se contente pas de confier la graine au sol, il doit en augmenter la fertilité; il croit lui rendre ce que les racines des plantes cultivées lui ont ôté. Trop indigent souvent pour engraisser son champ, il ne peut recourir qu’à l’influence bienfaisante de l’atmosphère. La terre, sillonnée par la charrue, reste en contact avec l’air. Quelle est l’action de cette terre labourée sur les couches inférieures de l’atmosphère? Voilà la question à laquelle je crois pouvoir répondre par les expériences que je vais exposer. Le cit. Saussure fils a trouvé, qu’en mettant de l’humus en contact avec l’air, il se forme de l’acide carbonique à la température de 12 ou 15° du thermomètre centigrade. M. Ingenhouz a reconnu que cette formation est accompagnée d’une absorption d’oxigène assez forte. Ayant répété mes expériences sur la germination dans l’acide muriatique oxigéné, il a vu accélérer la végétation du seigle, imprégné de cet acide fécondant; observations qui ont porté ce physicien ingénieux à regarder l’oxidation du sol comme une des principales causes de sa fertilité. Cette assertion, fondée sur un très-petit nombre de faits, méritoit sans doute d’être examinée de plus près. Ce n’est que par la voie expérimentale que l’on doit espérer de perfectionner la physiologie des végétaux, et de la rapprocher des problêmes de l’agriculture. J’ai entrepris ce travail depuis le mois de ventôse de l’an passé; j’ai découvert que non seulement la terre végétale ou l’humus, mais aussi les terres argilleuses, trouvées à une grande profondeur dans l’intérieur du globe, et, ce qui est plus frappant encore, que les terres simples, regardées comme des élémens chimiques, ont la faculté d’absorber l’oxigène, et de former de l’azote tout pur. C’est en exposant ces faits, que nous examinerons en même tems l’action des terres mêlées de débris organiques sur l’air qui les entoure, et la formation des oxides, qui jouent un rôle aussi important dans la nutrition des végétaux. Vivant l’hiver dernier dans un pays riche en couches de sel gemme, je vis avec surprise se former des moffettes affreuses dans les galeries qui servent à l’exploitation de ce minéral. Les immenses caveaux que l’on creuse pour les remplir d’eau douce, destinée à être imprégnée de muriate de soude jusqu’à 24 ou 25 pour 100, présentent un mélange d’azote et d’acide carbonique, lorsque les eaux salées sont découlées, et que le roc reste, pendant deux ou trois semaines, en contact avec l’air. Les endroits mêmes les moins humides sont souvent infectés d’un air qui éteint les lumières et empêche la respiration. Ces phénomènes, détaillés dans mon ouvrage sur la météorologie souterraine, ont été observés dans les monts Carpathes, dans les mines de sel gemme de la Haute-Autriche, de la Stirie, du pays de Berchtesgaden, de Salzbourg et dans les Alpes du Tyrol, que j’ai toutes visitées à plusieurs reprises. Cette moffette ne peut être attribuée qu’à la nature du roc même; car elle se trouve le plus dans des lieux où le toît n’est pas soutenu par la charpente, et où les mineurs ne travaillent pas. Je remarquai, en examinant souvent les mêmes galeries, que l’air étoit plus pur où le sel gemme se montre en masse, et qu’au contraire il paroît le plus azoté où il y a abondance de cette argille grisâtre, (salzthon, leberstein) qui contient beaucoup de muriate de chaux, et que les mineurs reconnoissent pour être le compagnon fidèle du sel gemme. Les mines de Weliozca en Gallicie contiennent infiniment plus de sel pur en masse, que les mines de Hall en Tyrol, ou d’Ischel en Autriche; aussi les premières jouissent-elles d’un air plus sain et plus riche en oxigène. J’ai reconnu, par des expériences directes, que c’est le roc argilleux qui (à une température très-basse) décompose l’air atmosphérique, entré par les puits ou galeries d’écoulement. Je mis des morceaux de cette argille humide sous des cloches remplies d’air atmosphérique, dont, par une analyse exacte, je connoissois la composition et le volume. La température de la chambre ne baissa pas audessous de 12° sans monter au-delà de 17° du thermomètre centigrade. C’étoit à-peuprès la température commune de l’intérieur de la terre. Dans un espace de 3 jours, je vis diminuer l’air des cloches de 0.04 à 0.06 d’oxigène. Après 8 jours, il n’y en avoit à peine que 0.10; après 12 jours, 0.07 de reste. Le même air atmosphérique, mis pendant le même tems en contact avec l’eau de source, se trouva de 0.27 d’oxigène, c’està-dire, il étoit à peine dégradé d’un 0.01. Voilà donc qu’il se passoit sous mes yeux la même décomposition de l’atmosphère, qui, dans les entrailles de la terre, oppose souvent des difficultés insurmontables au mineur. L’argille grise, principalement celle qui tire sur le noir, l’ardoise ou le schiste primitif, le cornéenne, (hornblendschiefer) le syenite, la pierre lydique de Werner, et la plus grande partie des minéraux noirs, contiennent, comme je l’ai déjà indiqué dans un autre mémoire, du carbone. Ils exhalent de l’acide carbonique lorsqu’on les met en contact avec l’oxigène de l’atmosphère. La lumière accélère cette combinaison, et les blanchit sur la surface, en leur ôtant le carbone. C’est ce dernier élément, qui leur donne même la faculté surprenante d’exciter des contractions galvaniques. Toutes ces considérations me portèrent à croire qu’un carbure d’argille agissant sous mes cloches, l’oxigène devoit être remplacé par une formation abondante d’acide carbonique. Je répétai les mêmes expériences, en analysant encore plus soigneusement les résidus. Je vis qu’en 18 jours le volume de 300 parties d’air atmosphérique avoit diminué de 54 parties. Les 246 parties de résidu, essayées (dans l’anthracomètre) avec la dissolution d’ammoniaque, se trouvèrent contenir environ 0.07 d’acide carbonique, et 0.03 oxigène. Un travail exact donna les résultats suivans: 3000 parties d’air atmosphérique étoient composées de 852 oxigène, 2103 azote, 45 acide carbonique. 3000 Les 2460 parties auxquelles le volume étoit réduit en 18 jours, étoient composées de 81 oxigène, 2207 azote (mêlé d’hydrog. 172 acide carbonique. 2460 Il n’y eut, dans ce produit, que 172–45=127 parties d’acide carbonique, dans la formation desquelles sont entrés, suivant les principes de l’illustre Lavoisier, 35.5 oxigène. Or, le résidu ne contenoit que 81 d’oxigène; il en suit que 735 parties ont été absorbées, c’est-à-dire, (en réduisant le tout à 100 parties) de [Formel] d’oxigène, [Formel] ont perdu l’état gazeux, et sontentrées en combinaison avec l’argille. Pour ce qui est de l’azote, nous en trouvons 10 parties de plus dans le réside, que l’air atmosphérique nous indiquoit avant l’absorption. Cette augmentation de 0.04 en volume n’a cependant pas de quoi nous étonner dans des expériences de cette nature. Il se peut que de l’hydrogène se soit mêlé à l’azote; (mélange que par malheur nous ne savons pas décomposer) il se peut que, malgré mes soins, l’argille n’ait pas été dépourvue de tout air contenu dans ses interstices; il se peut même qu’un accident inconnu ait altéré l’élasticité d’un gaz que les travaux des cit. Prony, Guyton et Prieur nous annoncent aussi extraordinaire dans les lois de sa dilatation. Je présente, en forme de tableau, d’autres expériences faites avec la même argille des mines de sel gemme. Les nombres ont été rectifiés par la variation du baromètre, et réduits à la température de 12° du thermomètre centigrade. Le maximum de l’erreur dans l’analyse de l’air peut s’évaluer à 1 degré [Formel] de l’eudiomètre de Fontana, ou de [Formel] centième d’oxigène, le calcul se fondant sur les moyens combinés du gaz nitreux, du sulfate de fer et de l’acide muriatique oxigéné. Volume de l’air atmosphérique à 0.27 d’oxigène, mis en contact avec l’argille. Résidu après 15 à 23 jours de contact. Le résidu contenoit Oxigene. Acide carbon. 250 212 0.10 0.04 460 418 0.18 0.02 300 260 0.07 0.08 520 492 0.20 0.04 500 446 0.11 0.07 Toutes ces expériences nous prouvent, 1°. que l’air, mis en contact avec l’argille, diminue considérablement en volume et en quantité d’oxigène; 2°. qu’une très-petite partie de cet oxigène est convertie en acide carbonique; 3°. que la plus grande partie perd son état gazeux en se joignant à l’argille; et 4°. que l’azote atmosphérique n’est point sensiblement altéré pendant l’absorption de l’oxigène. Un phénomène, aussi frappant que celui de l’absorption d’oxigène par l’argille, devoit me conduire à des expériences analogues sur l’humus ou la terre végétale. J’en recueillis non seulement de celle qui se trouve dans nos jardins, et que l’on pourroit soupçonner entrer facilement en fermentation, mais de celle que présente un champ récemment labouré, et non engraissé depuis plusieurs années. Ces deux espèces d’humus donnèrent à-peu-près les mêmes résultats, soit que j’en aie rempli à demi un flacon hermétiquement bouché, soit que je les aie exposés au contact de l’air atmosphérique sous des cloches enfoncées dans du mercure ou de l’eau. Dans ce dernier cas, j’eus soin de placer le morceau de terre sur un petit support qui s’élevoit au-dessus de la surface de l’eau. L’air, en contact avec l’humus, diminuoit journellement en volume et en quantité d’oxigène. Au bout de 10 à 12 jours, je trouvai un résidu qui ne contenoit, pour la plus grande partie, que 0.03 ou 0.04 d’oxigène, et 0.02 à 0.07 d’acide carbonique. Les terres les plus noires, les plus odoriférantes décomposoient l’air avec le plus de rapidité. Je puis citer des expériences, dans lesquelles l’humus absorboit jusqu’à [Formel] d’oxigène dans un espace de 5 jours. Tous les airs essayés contenoient entre 0.27 et 0.28 d’air vital. Jours que de contact a duré. Oxigène contenu dans les résidus de 5 cloches. 2 0.20 0.24 0.19 0.20 0.26 3 0.16 0.20 0.15 0.20 0.20 4 0.16 0.15 0.14 0.15 0.17 5 0.10 0.12 0.11 0.15 0.16 8 0.08 0.10 0.11 0.11 0.12 11 0.08 0.10 0.11 0.08 0.09 14 0.05 0.06 0.04 0.08 0.09 Il est connu que tout gaz azoté, préparé au moyen de la combustion du phosphore ou sulfure de potasse, contient entre 4—6 centièmes d’oxigène: celui même qu’on dégage des parties animales par l’acide nitrique, est rarement aussi pur qu’on le croit. Essayé par le gaz nitreux, on y reconnoît souvent jusqu’à 0.03 centièmes d’air vital. L’humus nous présente un nouveau moyen de préparer une grande quantité d’azote le plus pur. Le 10 fructidor, je mis 350 centimètres cubes d’air atmosphérique en contact avec de la terre végétale. Le 25 fructidor je ne retrouvai qu’un résidu de 278 centimètres cubes, qui ne présentèrent que 7 degrés de diminution dans le tube de Fontana; ce qui prouve, par la formule donnée dans mon mémoire sur le gaz nitreux, que l’azote obtenu contenoit à peine [Formel] d’oxigène. Je mis 140 centimètres de ce résidu de nouveau en contact avec de l’humus, et le 30 fructidor je le trouvai converti en azote tout pur, et dans lequel le phosphore ne répandoit aucune lumière. Si, parmi les méthodes d’obtenir de l’oxigène, celle d’exposer les feuilles sous l’eau aux rayons du soleil, a mérité d’être citée, le moyen de préparer de l’azote par l’humus ou l’argille, mis en contact avec l’air, doit tout aussi bien trouver sa place dans nos manuels de chimie. Les différentes substances, employées jusqu’ici, ne peuvent pas être regardées comme simples. L’humus est un mélange de terre, de carbone, d’hydrogène, d’azote, de phosphore, et des oxides de fer et de manganèse. Il s’agissoit d’examiner si la propriété d’absorber l’oxigène appartient en partie aux terres simples, ou si elle est due aux bases acidifiables avec lesquelles ces terres sont combinées. Des expériences soigneuses faites à cet égard, ont présenté des résultats frappans, auxquels on ne devoit pas s’attendre d’après l’analogie des phénomènes connus. L’illustre Lavoisier tendoit à regarder les terres comme des oxides métalliques si fortement oxidés, qu’aucune base acidifiable n’est en état de leur enlever l’oxigène. Cette supposition ne devoit certainement pas nous porter à attribuer aux terres la propriété de décomposer l’air atmosphérique. Aussi aucun phénomène chimique ne nous a annoncé jusqu’ici cette propriété singulière. Je mis, le 28 fructidor, de l’alumine et de la baryte légèrement humectées par de l’eau distillée, en contact avec de l’air, à 0.27 d’oxigène. Pour être bien sûr que ce dernier ne fut pas altéré par l’humidité, je fis en même tems des expériences comparatives avec l’eau pure. L’appareil demeura constamment à 12—14° du thermomètre centigrade. Le 4 vendémiaire, l’air atmosphérique en contact avec l’eau pure ne fut pas trouvé changé d’un demi-centième; celui en contact étoit de l’azote aussi pur que j’en aie jamais préparé. Analysé en présence des cit. Fourcroy et Vauquelin, il ne diminua pas d’un centième avec le gaz nitreux. L’air, qui étoit exposé à l’action de la baryte, ne contenoit que 0.08 d’oxigène. Il est à présumer que si ce contact eût duré plus long-tems, ou que moins d’air eût été dans la cloche, l’azote auroit été tout pur. Des faits aussi frappans m’encouragèrent à varier les expériences sur d’autres terres. Celles faites depuis deux décades chez moi et aux laboratoires de l’école des mines et du cit. Fourcroy, ont présenté les résultats suivans: 1°. L’alumine et la chaux sèche n’altérèrent aucunement la pureté de l’air atmosphérique. Quelques exceptions qui se présentoient doivent être attribuées sans doute à un minimum d’humidité, qu’il est impossible d’enlever à l’appareil et à l’air qu’il contient. 2°. L’alumine, la baryte et la chaux sont les seules terres qui, légèrement humectées, ont mis à nu de l’azote plus ou moins pur. L’alumine paroît exercer l’action la plus puissante sur l’oxigène. L’absorption ne paroît pas être accompagnée d’un dégagement d’un autre fluide élastique; car, de 800 parties d’air atmosphérique à 0.27 d’oxigène, mis en contact avec l’alumine, il en restoit en huit jours 586, qui étoient du gaz azote pur. D’après le calcul, le résidu auroit dû être de 584. La baryte diminua le volume de 400 parties d’air jusqu’à 318; aussi 0.08 d’oxigène se retrouvèrent dans le gaz azote; par conséquent les résidus ne paroissent être que l’azote préexistant dans l’air atmosphérique. 3°. La magnésie n’a encore, dans aucune expérience, absorbé de l’oxigène. Pour ce qui est de la silice, je ne porte aucun jugement sur elle, avant d’avoir répété plus souvent les expériences. Dans celles faites avec le cit. Tassaert, au laboratoire du cit. Vauquelin, elle ne manifesta aucune action sur l’air. Dans d’autres faites chez moi, elle absorba en dix jours près de 0.08 d’oxigène, en réduisant le volume de 500 parties à 462. Il se peut cependant que ma terre ne fût pas toutà-fait pure, et que j’aie perdu du gaz en le transvasant. 4°. Nous n’avons vu jusqu’ici aucune différence entre les terres pures et carbonatées; cependant il faut observer qu’au laboratoire du cit. Fourcroy, la baryte caustique n’a pas agi sur l’air. En exhaussant la température des terres jusqu’à 50 ou 60° du thermomètre centigrade, on peut, dans un espace d’une ou deux heures, rendre sensible l’action des terres humectées. En 45 minutes j’ai vu perdre l’air atmosphérique jusqu’à 0.04 d’oxigène. Le calorique paroît alors favoriser le jeu d’affinité qu’exercent les terres sur l’air. Je me borne à exposer les phénomènes observés jusqu’ici, sans prononcer déjà sur les causes dont ils dérivent. Nous voyons agir les terres simples comme les bases les plus acidifiables. Nous reconnoissons en elles un nouveau moyen eudiométrique, plus simple et plus actif que celui du phosphore et du sulfure de potasse. Les terres n’agissant point à sec, il se peut que l’humidité ne serve qu’à augmenter leur affinité pour l’oxigène. Un grand nombre de faits chimiques nous annonce que l’humidité est souvent une condition indispensable pour faire agir les élémens d’après les lois d’affinité qui leur sont propres. Il se peut que les terres mêmes soient des combinaisons d’une base inconnue et de l’oxigène. S’il étoit prouvé (qu’à l’instar de l’alcali) la chaux contienne de l’azote et de l’hydrogène, il ne faudroit pas s’étonner de la voir agir comme une base acidifiable, tendant à s’unir avec l’oxigène: mais il se peut aussi que les terres, sans se combiner elles-mêmes avec l’oxigène, donnent, par un jeu de double affinité, la propriété à l’eau de dissoudre la base de l’air vital. Des expériences, faites avec le sulfate de fer, n’ont pas, il est vrai, favorisé cette hypothèse; mais il faut convenir aussi que ce moyen de reconnoître l’oxigène dans l’eau est très-imparfait. Il peut y être dissous, et retenu d’une manière que l’oxide de fer n’est pas en état de l’enlever. Il sera plus prudent, pour le moment, de se contenter de la découverte de ce nouveau phénomène, sans s’avancer au-delà des limites de nos connoissances actuelles. Il faudra essayer si, après avoir exposé, pendant 4 ou 5 mois, de l’alumine humide à l’air atmosphérique, cette terre donnera du gaz oxigène en la traitant au feu dans l’appareil pneumatique. Ce n’est que par des expériences en grand, que l’on parviendra à résoudre des problêmes aussi importans pour la théorie chimique. Les phénomènes exposés ci-dessus paroissent répandre quelque lumière sur l’économie végétale, et sur cet art bienfaisant surtout, qui, en attachant l’homme au sol, adoucit les mœurs, et resserre le nœud de la vie sociale. Les basses couches de l’atmosphère et la surface du globe sont presque les seuls lieux habités par les êtres organisés. Le nombre des insectes et des plantes souterraines, que j’ai découvert à plusieurs centaines de mètres dans l’intérieur de la terre, disparoît en les comparant à celui des animaux et des végétaux qui habitent les couches supérieures. Par-tout où le roc nu se présente au contact de l’air atmosphérique, il n’y a que des psores, des verrucaires et quelques lichens qui en couvrent la surface. L’humus ou la terre végétale est la vraie demeure des êtres organisés; c’est la source féconde dont ils tirent leur nourriture. Il suit de-là, que tout ce qui a du rapport à cette terre végétale doit inspirer l’intérêt le plus vif à ceux qui s’occupent des grands phénomènes de la nature animée. L’humus varie d’un [Formel] jusqu’à 14 décimètres en épaisseur, selon qu’un terrain a été long-tems habité par des plantes, ou que des courans d’eau y ont déposé des parties enlevées en d’autres endroits. On observe, en comparant les différentes couches de cet humus, que les inférieures ne sont pas aussi fertiles que celles qui sont en contact direct avec l’atmosphère. En labourant le sol avec la charrue, il faut que la nouvelle surface reste quelque tems exposée à l’influence bienfaisante de l’air, avant que la graine puisse lui être confiée. Le contact de l’air agit comme un engrais: voilà ce qu’on a observé depuis des milliers d’années qu’on a cultivé la terre. Mais quelle est cette action de l’air atmosphérique sur le sol? quelles sont les parties qui s’assimilent? Voilà la grande question annoncée au commencement de ce mémoire, à laquelle la physique et la chimie doivent répondre. Quelques naturalistes ont cru trouver la solution de ce problême, en admettant que la lumière solaire, ou l’électricité atmosphérique, se conbine avec la terre végétale. Je ne doute pas de la possibilité de cette combinaison; mais quelles sont les analogies qui en prouvent l’existence? Le globe entier n’est-il pas chargé constamment du fluide électrique? L’évaporation occasionnée à sa surface, ne diminue-t-elle pas la charge des couches supérieures de l’humus, tandis que les inférieures la conservent? D’autres physiciens ont attribué l’action de l’atmosphère à l’influence de la rosée, des brouillards et de l’eau de pluie, qu’à tort ils ont cru chargés d’acide carbonique. Mais souvent toutes les couches de l’humus, ou de la terre argilleuse labourée, ne sont-elles pas également humides, quoique très-différentes en fertilité? Ces objections n’ont pas échappé à la sagacité de nos simples cultivateurs. Ignorant la composition de l’air, ils y admettent l’existence d’un sel inconnu, analogue au nitre. Si nous étions en droit de regarder ce sel comme le spiritus nitro-aereus de Mayow, on pourroit dire qu’un hasard heureux a fait deviner au laboureur ce que l’expérience chimique a prouvé de nos jours. La terre végétale, en contact avec l’atmosphère, en décompose les couches inférieures; elle absorbe l’oxigène, qui, perdant son élasticité ou son état gazeux, se combine en état d’oxide avec la chaux, l’alumine, le carbone, l’hydrogène, le phosphore, l’azote, et peut-être même avec le fer, le manganèse, que Bergman, M. Rurkert, et les cit. Fourcroy et Hassenfratz ont trouvé dans leur beau travail sur l’humus. Un nombre de faits nous annonce que l’oxigène joue le rôle le plus important dans l’économie animale et végétale, et que son accumulation accélère singulièrement le développement des parties organiques. Je n’ai qu’à rappeler les expériences que j’ai faites, il y a 7 ans, sur la germination dans l’acide muriatique oxigéné. Le développement de la plumule peut être accéléré, en certains cas, de 9 dixièmes parties du tems. L’action de l’oxigène se manifestant aussi fort dans cette opération, ne sommes-nous pas forcés, par l’analogie, d’admettre, avec le docteur Ingenhousz, que c’est l’oxidation de l’humus, ou sa propriété d’absorber l’air vital, qui agit principalement pendant le labourage du sol. Les bases acidifiables, que les débris des végétaux et des insectes mêlent continuellement au terreau, la chaux, l’alumine, non moins acidifiables, peut-être s’emparent de l’oxigène, soit que ces terres soient oxidées elles-mêmes , ou qu’elles forment de l’eau oxigénée. Tels que les acides à double ou triple base se décomposent plus facilement que les acides à radical simple, telles aussi les racines des plantes décomposeront plus facilement des carbures d’hydrogènes oxidés, que de l’eau ou de l’acide carbonique. Un oxide d’hydrogène est très-différent de l’eau en état solide. C’est une combinaison, dans laquelle l’hydrogène est peut-être encore plus abondant que l’oxigène. Le carbone peut de même exister comme carbone pur, comme oxide de carbon, comme acide carbonique, et peut-être même comme acide carbonique oxigéné. J’ose croire que la grande différence du charbon végétal et du diamant ne consiste pas autant dans le mélange du carbone avec les substances alcalines et terreuses, que dans son état d’oxidation. Le charbon végétal ne contient peut-être que des oxides de carbon et des carbures d’hydrogène oxidé; tandis que le diamant paroît être le seul carbone pur non oxidé. C’est cette simplicité qui le rend si intraitable, vu que toute substance un peu composée agit par un jeu de double affinité. L’existence des oxides de carbone n’est pas seulement prouvée par les expériences annoncées dans ce mémoire, mais aussi par les grands phénomènes de la météorologie souterraine. Les galeries des mines de houilles contiennent le plus souvent beaucoup de gaz azote, et peu d’acide carbonique. L’oxigène de l’air atmosphérique est absorbé par le charbon, et ce nouveau mélange reste en état solide. L’oxide de carbone, combiné à plus d’oxigène, forme l’acide carbonique, et cet acide, mêlé à l’air vital, peut être regardé, à certains égards, comme un acide carbonique oxigéné. L’affinité du carbone pour l’oxigène est si puissante, que ce mélange s’approche déjà de l’état d’une combinaison chimique. Les bougies s’éteignent dans un gaz qui est composé de 0.75 d’oxigène, et de 0.25 d’acide carbonique; phénomène qui ne pourroit pas avoir lieu si les 75 part. d’oxigène y existoient dans un état libre. J’ai cru devoir exposer ces idées sur l’hydrogène et le carbone, vu que les oxides jouent un rôle si puissant dans la météorologie et l’économie des êtres organisés. Trois substances animales peuvent être composées des mêmes quantités d’oxigène, d’azote, de carbone et d’hydrogène, et cependant différer beaucoup dans leurs propriétés chimiques. Dans l’une, l’azote se combine à l’hydrogène, en formant un mélange analogue à l’ammoniaque, qui sera combiné à l’oxide de carbone. Dans l’autre, le carbone et l’hydrogène se joignent en état huileux, et le carbure d’hydrogène est oxidé comme l’azote. La troisième substance ne présente qu’un simple mélange des oxides de carbone, d’azote et d’hydrogène. Voilà des différences très-marquantes, que plusieurs phénomènes nous indiquent, et que nous devinons, pour ainsi dire, sans que l’analyse chimique ait encore pu jusqu’ici prononcer positivement sur l’état de combinaisons dans lesquelles les élémens se trouvent. Il en est de même des terres végétales, si différentes en fertilité. J’ai vu qu’en général, les plus noires, les plus grasses et les plus odoriférantes, décomposent le plus rapidement l’air atmosphérique. Mais j’en ai reconnu d’autres aussi, qui, plus maigres et moins carbonées en apparence, n’en absorbent pas moins d’oxigène. Si une terre est d’autant plus fertile qu’elle est capable d’absorber l’oxigène; sa fertilité ne dépend pas de la quantité des bases acidifiables, de la quantité de chaux, d’alumine, de carbone, d’hydrogène, d’azote, qu’on y reconnoît, mais de l’état de combinaison dans lequel ces bases s’unissent, et qui les rend plus ou moins propres à décomposer l’atmosphère. Cette considération nous fait entrevoir pourquoi le chimiste ne peut que rarement satisfaire les vœux de l’agricole, et pourquoi l’analyse la plus exacte assigne les mêmes élémens à deux terres très-différentes en fertilité. C’est beaucoup gagner en physique et en toute science en général, non seulement que de connoître les limites auxquelles on doit s’arrêter, mais aussi d’entrevoir les causes qui empêchent de les dépasser. Le cit. Candole, (de Genève) à qui nous devons des connoissances précieuses sur la nutrition des lichens, a répété les expériences sur l’humus en contact avec de l’air vital pur. Il assure avoir observé d’heure en heure l’absorption de l’oxigène par l’humus. Semant des graines dans des terres oxidées par le contact de l’air vital, et en comparant la germination avec celle dans le gaz azote, il a été frappé par l’effet énergique de l’oxigène; effets dont il va rendre compte lui-même dans un ouvrage de physiologie végétale, auquel il travaille avec beaucoup de zèle. Les faits que nous avons rapportés jusqu’ici servent à éclaircir d’autres phénomènes de la physiologie végétale et animale. L’air, qui se trouve dans les interstices de l’humus, est un gaz infiniment azoté. Les vers et les insectes, qui vivent dans l’intérieur de cette couche de terreau, ne respirent donc qu’un azote chargé de 0.05 ou 0.07 d’oxigène. Accoutumés à cette atmosphère impure, le contact du gaz vital, ou de tout autre air, qui en contient beaucoup, produit sur eux l’effet des stimulans les plus forts. Les lombrics, les larves du tenebrio molitor, et de plusieurs espèces de meloë, périssent plutôt sous une cloche de gaz oxigène, que dans un hydrogène assez impur pour faire luire le phosphore. Il en est de même des plantes, dont les feuilles et la tige s’élèvent dans l’air atmosphérique, tandis que leurs racines sont environnées d’un air azoté. Les cultivateurs ont observé, depuis longtems, que rien n’est aussi dangereux pour la conservation des plantes, que de laisser les racines dénuées de terre en contact avec l’atmosphère. Ce danger ne provient pas de la sécheresse de l’air; car l’eau, dont on mouille les racines, ne les garantit pas du danger qui les menace. Ne doit-on pas plutôt attribuer cet effet à l’action de l’oxigène sur des parties, qui, environnées d’azote dès leur premier développement, ne sont pas accoutumées à une irritation aussi forte? C’est une vraie combustion qui est favorisée par les rayons de la lumière. Ces mêmes considérations répandent aussi du jour sur quelques phénomènes que présentent les terres et les couches. Plus elles sont basses et étroites, plus l’air est azoté par le contact avec la terre. J’ai trouvé l’air vicié jusqu’à 0.21 d’oxigène, dans des serres de 3 mètres de hauteur, et dans lesquelles les musa, les hatrionia ou des scitaminées répandoient abondamment du gaz oxigène. Au contraire, dans les serres de Vienne, ( Schœnbrunn ) les plus grandes et les plus belles de l’Europe, l’air étoit tout aussi pur qu’en pleine campagne. La masse de l’air y est trop considérable pour que l’humus puisse le décomposer; aussi y entretient-on des courans, dont les plantes ne se ressentent pas dans un espace aussi vaste. Il ne faut pas s’étonner de les y voir jouir de la plus belle verdure, tandis que tout croupit et a l’air malade dans l’air azoté des petites serres. Les couches au contraire sont très-favorables aux jeunes plantes qui (comme Ingenhousz et Senebier l’ont judicieusement prouvé) exigent, pour leur développement, un air moins pur que les plantes adultes; cependant elles sont toutes étouffées dans l’azote, si on ne leur donne pas de tems en tems de l’air atmosphérique, en ouvrant les fenêtres qui couvrent les couches. On a observé, dans le nord de l’Europe, que les malades, qui souffrent de la phthisie pulmonaire, se trouvent soulagés lorsqu’ils se penchent au-dessus d’une couche ouverte, ou qu’ils mettent de grands amas d’humus auprès de leurs lits. Mes expériences sur les terres prouvent que c’est une vraie cure de Beddoës. Ils respirent un air plus azoté, moins irritant pour une constitution souffrante, par l’accumulation du principe oxigéné. Toutes les substances, éminemment acidifiables ou eudiométriques, tels que le sulfure de potasse, le mélange de fer et de soufre et le gaz nitreux, ont la propriété de décomposer l’eau, l’humus et les terres appartenant à la même classe: on ne sauroit douter de son action sur l’eau de pluie et la rosée, dont il est continuellement humecté. J’ai des raisons de croire qu’il y a plus d’eau décomposée dans la terre végétale que dans les organes des plantes mêmes. La grande masse d’hydrogène, contenue dans l’humus, est due à cette décomposition, et le calorique, qui se dégage en même tems, augmente la température du sol, et favorise le jeu des affinités par lesquelles s’opère la nutrition des végétaux. Le cit. Chaptal a prouvé, par des expériences contenues dans le premier volume des mémoires de l’institut national, que le carbone, qui circule dans tout le systême du végétal, est dissous dans le principe huileux extractif ou résineux, et que tout ce qui prépare cette dissolution accélère le développement des végétaux. Considérant la décomposition de l’eau opérée par l’humus, nous reconnoissons que ce principe huileux ou résineux commence déjà à se former hors des organes végétaux. Pendant l’action chimique, que les élémens de l’humus exercent continuellement les uns sur les autres, l’hydrogène, ne restant combiné qu’à une petite quantité d’oxigène, se rapproche du carbone, et ces carbures d’hydrogène oxidés paroissent présenter la nourriture la plus abondante aux racines absorbantes des végétaux. Peut-être que toute la théorie des engrais est fondée sur ce principe, et qu’ils agissent principalement par la nature de leurs bases acidifiables, c’està-dire, par leur propriété de décomposer l’eau et l’air atmosphérique. Quoique les expériences, rapportées ci-dessus, ne laissent aucun doute sur l’absorption de l’oxigène par l’humus, il seroit à souhaiter cependant que l’on pût constater cette absorption par l’analyse exacte d’une terre exposée pendant long-tems à l’air vital. On pourroit croire que le même humus qui, avant le contact avec l’oxigène, ne donneroit que 20 centimètres cubes d’acide carbonique, en présenteroit 30 à 40 après l’oxidation des bases acidifiables. Mais, en réfléchissant mûrement sur la nature de ce problême, on voit qu’il est absolument impossible de le résoudre par la voie de l’expérience; car, 1°. la terre végétale ou l’humus, est si inégalement mêlé, que 3 analyses de 3 hectogrammes, recueillis dans la même couche, donneroient des résultats tout différens. Or, il est physiquement impossible d’examiner deux fois la même portion de terre avant et après l’absorption de l’oxigène. La comparaison ne peut donc être faite qu’entre deux quantités d’humus du même poids. On ne sauroit jamais si le plus d’acide carbonique, dégagé de la terre oxidée, seroit dû à cette oxidation, ou à une différence foncière des élémens. 2°. Comme il ne s’agit pas de connoître la quantité de carbone contenu dans l’humus, mais le degré de son oxidation, l’expérience devroit être faite de manière que l’humus ne fût pas en contact avec l’oxigène de l’atmosphère: mais, supposé même que cette difficulté fût levée, un minimum d’humidité de plus ou de moins feroit changer les résultats. L’eau se décompose en contact avec les bases acidifiables; et ce que l’on croit provenir des oxides de carbone est dû à l’oxigène de l’eau décomposée. 3°. L’humus ne présente pas des oxides de carbone, mais aussi des oxides d’hydrogène, d’azote, de phosphore, de fer, des oxides à doubles et triples bases. On auroit donc bien tort de mesurer, par la quantité d’acide carbonique seul, le degré d’absorption de l’oxigène par l’humus. A une haute température, les oxides à doubles bases de carbone et d’hydrogène, ou d’azote et de phosphore, seront modifiés par un jeu d’affinités des plus composées. Il se formera de l’eau, de l’acide nitrique, de l’ammoniaque, de l’huile; il sera tout aussi impossible de reconnoître la quantité d’oxigène absorbé par l’humus, qu’il est impossible de dégager l’oxigène du sang veineux mis en contact avec l’air vital. La chimie nous présente plusieurs cas où l’analyse ne peut reconnoître ce qui a été composé par la voie synthétique. La matière colorante verte des plantes, dissoute dans l’alcool, jaunit en absorbant l’oxigène. J’ai vu reparoître la couleur verte, en versant de l’ammoniaque dans la solution. Il est vraisemblable que ce changement s’opère par une décomposition de l’ammoniaque, qui, en formant de l’eau, enlève l’oxigène à la matière colorante, et dégage du gaz azote. La théorie nous apprend que c’est dans cette eau que nous devons retrouver l’oxigène absorbé; mais quel est le chimiste qui oseroit se croire capable d’un travail aussi délicat? La grande masse des substances acidifiables contenue dans l’humus, se manifeste par la quantité d’air atmosphérique qu’il est en état de décomposer. J’ai essayé de mettre, à plusieurs reprises, la même portion en contact avec l’air; son action n’a souvent été diminuée qu’à la quatrième ou cinquième fois. Un hectogramme a décomposé peu à peu 17 centimètres cubes d’air atmosphérique. Ce n’est qu’à la dernière fois que l’affinité pour l’exigène paroissoit diminuée, le résidu d’azote contenant encore 0.12 d’oxigène. Il est probable que les molécules de carbone, par exemple, ne s’oxidant qu’à la surface, une division mécanique, ou une augmentation de température, rend à l’humus la propriété d’absorber l’oxigène. Le labourage, et sur-tout les rayons du soleil, doivent produire cet effet salutaire; l’un en présentant de nouvelles surfaces; les autres, en échauffant le sol, et en faisant passer les oxides de carbone de l’état solide à l’état gazeux. Je finis ce mémoire en jetant un coup-d’œil sur la formation d’un sel que la nature produit, pour ainsi dire, sous nos yeux, et sur lequel la chimie moderne a déjà répandu un grand jour. Connoissant les élémens qui composent l’acide nitrique; voyant leur identité avec les bases constituantes de notre atmosphère, nous ne nous étonnons plus de voir se former cet acide dans les couches inférieures de l’air; nous regardons comme possible, que, sous l’influence de l’électricité, une partie de l’atmosphère se convertisse en acide nitrique; mais ces mêmes idées nous expliquent-elles pourquoi le nitre est produit plus abondamment sur les terres argilleuses et calcaires, que sur les terres quartzeuses? pourquoi les seules couches inférieures de l’air, celles qui sont en contact immédiat avec la terre, sont en état de déposer l’acide nitrique? J’ignore qu’aucun physicien ait tenté d’expliquer ces phénomènes intéressans. Les pays les plus abondans en nitre, les plaines du Thibet, de la Hongrie, de l’ Allemagne et de la Sarmatie, présentent toutes le même sol, ou des argilles grasses, ou un terreau noir provenant des débris des matières végétales et animales. En Allemagne , on construit sur les champs des murs de terre glaise, que l’on dispose parallèlement, et sur lesquels le nitre se recueille de tems en tems. Il faut qu’il existe un rapport intime entre la formation du nitre et la nature des substances sur lesquelles il se dépose. Les terres argilleuses absorbent, avec grande avidité, l’oxigène de l’atmosphère. Celles mêmes qui, par leur couleur blanche, paroissent être les plus pures, décomposent très-rapidement l’air atmosphérique. Je fis, sous les yeux du cit. Vauquelin, l’expérience suivante. De l’air atmosphérique à 0.274 d’oxigène, fut mis (en un tube) en contact avec du phosphore; dans un second, avec l’argille blanche de Montmartre, dont nous nous servons dans les laboratoires pour luter les cornues. Après un espace de dix jours, les résidus de l’air furent analysés. Le phosphore n’avoit absorbé que 0.07, l’argille 0.10 d’oxigène. D’autres terres argilleuses, prises d’un champ fertile en froment, décomposèrent en 13 jours l’air atmosphérique jusqu’à 0.06 d’oxigène. Cette action des argilles sur l’air devenoit encore plus forte à une température élevée. C’est à elle qu’est dû le gaz azote qu’on a recueilli dans les mauvaises expériences faites dans les tuyaux d’argille, pour prouver la fausseté de notre théorie sur la décomposition de l’eau; c’est elle qui cause l’insalubrité de l’air dans les demeures des pauvres laboureurs du nord, chauſſées par des poëles construits en argille. Deux changemens doivent s’opérer dans l’air atmosphérique, pour le convertir en acide nitrique; l’un se rapporte au degré d’affinité qui lie les deux bases de l’oxigène et de l’azote; et l’autre, à la proportion dans laquelle elles doivent s’unir pour former une nouvelle combinaison. C’est une loi générale en chimie, que, lorsqu’une substance composée A doit subir un changement de combinaison, ce changement va s’opérer d’autant plus facilement qu’une seconde substance B contribue à diminuer la force des affinités par lesquelles les élémens de A sont unis. Les couches de l’air atmosphérique, en contact avec la surface de la terre, sont d’autant plus disposées à abandonner l’état de leur agrégation, que cette terre agit plus puissamment sur l’une des bases de ce mélange gazeux. La proximité de l’argille modifie l’attraction par laquelle l’oxigène atmosphérique est lié à l’azote. Dans les couches les plus proches, il existe de l’azote libre, des atomes qui suivent d’autres affinités que celle par laquelle l’azote est balancé dans le mélange atmosphérique. Ces atomes se rencontrent avec une grande masse d’oxigène, attirés par les bases acidifiables de l’argille, de la chaux, sous de l’humus. Chaque molécule de terre est enveloppée par une atmosphère particulière, plus riche en oxigène que les couches d’air dans lesquelles nous vivons. Tandis que les dernières ne contiennent que 0.28 d’oxigène, l’atmosphère de l’argille sera à 0.50—0.60, et les molécules les plus proches de la terre, doivent même former de l’air vital pur. L’oxigène descend pour s’unir aux bases terreuses. C’est sur ce passage que peu d’azote libre, se rencontrant avec beaucoup d’oxigène libre, passe à l’état d’acide nitrique. L’électricité atmosphérique semble opérer cette réunion; car les tems orageux sont les plus favorables pour la production du nitre, ceux sur-tout où l’électricité positive passe 8—10 ſois par jour à l’état négatif, et qui ne s’annonce souvent que par des coups de vent, de grêle et de pluie. Je pourrois ajouter encore que la potasse, qui forme la base du nitre, ne se trouve pas à la 8°. partie dans l’argille, ou l’humus sur lequel le sel se précipite; que l’eau se décomposant à la surface de la terre, cette potasse pourroit bien être due au contact de l’hydrogène avec l’azote atmosphérique; qu’enfin dans les vastes plaines de Cujavie, le nitre est constamment mêlé de muriate de soude, et que j’ai vu s’y former de l’acide muriatique dans l’atmosphère. — Mais ces considérations nous meneroient dans une sphère où les conjectures servent à remplacer les faits. Il ne s’agissoit que de prouver comment la proximité de la terre peut favoriser la formation du nitre. Sans pouvoir expliquer les grandes opérations de la nature, c’est toujours gagner que de connoître les principaux agens qui exercent leurs forces attractives dans cet immense laboratoire. J’ose me flatter que les expériences citées dans ce mémoire répandent quelque jour sur ces agens, et que peut-être elles pourront mener à des découvertes intéressantes pour l’agriculture. Le peu de tems qu’il me reste à séjourner sur ce continent, ne m’a permis que de tracer la route que des physiciens plus habiles suivront un jour avec plus de succès.