NOTICE Sur la cause et les effets de la dissolubilité du gaz nitreux dans la solution du sulfate de fer; Par HUMBOLDT et VAUQUELIN. En chimie, l’expérience fait quelquefois connoître des phénomènes que la théorie n’auroit peut-être jamais fait soupçonner. La dissolubilité du gaz ou oxide nitreux dans la solution du sulfate de fer, trouvée pour la première fois par Priestley, et heureusement appliquée par M. Humboldt à l’analyse plus rigoureuse de l’atmosphère, en est une preuve remarquable. Non seulement le fait lui-même ne pouvoit être prévu, car il est plus que probable qu’il est dû au hasard; mais, à plus forte raison, ses causes et ses effets chimiques; puisque, lorsqu’il a été remarqué par les savans, ils ont différé d’opinion sur la manière dont il avoit lieu. Mais, avant de parler du changement intime qu’éprouvent réciproquement le gaz nitreux et le sulfate de fer, il est nécessaire, pour le rendre plus facile à concevoir, de décrire les phénomènes qui peuvent être saisis par les sens. 1°. Le gaz nitreux perd entièrement sa forme élastique; il ne reste qu’une très-petite proportion de gaz azote qui y étoit simplement mélangé. 2°. La couleur verte de la solution du sulfate de fer devient brune foncée sans perdre cependant sa transparence, ni rien déposer. 3°. Sa saveur douce et ferrugineuse devient stiptique et très-astringente. Tels sont les faits les plus apparens, observés par ceux qui ont répété l’expérience de Priestley; mais il étoit naturel de se demander de quelle manière ils s’étoient opérés; si c’étoit simplement le résultat de la dissolution du gaz nitreux par la solution du sulfate de fer, sans altération dans la nature et les proportions des principes; ou si ces mémes principes, en agissant les uns sur les autres, avoient donné naissance à de nouveaux composés. Ce sont les questions que nous nous sommes proposé de résoudre, M. Humboldt et moi. Peur y parvenir, il a fallu avoir égard au nombre et à la nature des substances qui sont en contact dans cette opération, et former quelques hypothèses probables pour pouvoir tracer ensuite la marche que nous devions suivre dans ces recherches: ces substances sont l’eau et ses principes, le sulfate de fer et ses parties constituantes, le gaz nitreux et ses élémens, enfin le gaz azote mêlé au gaz nitreux. Ce n’est qu’en éliminant ainsi par la pensée les différens corps qui sont en présence, et en les combinant ensuite 2 à 2, 3 à 3, etc., qu’on peut parvenir à deviner les effets qui arriveront, ou à expliquer ceux qu’on a observés par l’expérience. Ainsi, après avoir fait passer 252 pouces, (4537 centimètres cubes) de gaz nitreux dans une dissolution d’une once et demie de sulfate de fer, et desquels 180 pouces, ou 3564 centimètres cubes furent absorbés, nous la soumîmes aux expériences suivantes. 1°. Mêlée avec une lessive de potasse caustique, il se produisit un précipité d’oxide de fer d’un vert foncé, et il s’exhala une vapeur très-sensible d’ammoniaque. 2°. Mêlée avec de l’acide sulfurique concentré, il se dégagea des vapeurs blanches, très-reconnoissables pour de l’acide nitrique. 3°. Enfin elle rougissoit fortement la teinture de tournesol, quoique le gaz nitreux eût passé à travers une solution de potasse avant de parvenir dans le sulfate de fer. Nous nous étions donc déjà assurés, par ces expériences, que le gaz nitreux, en se condensant dans la solution du sulfate de fer, avoit formé de l’ammoniaque et de l’acide nitrique, ou du moins qu’il en avoit été une des causes essentielles. En conséquence, guidés par ces premiers faits, nous introduisîmes, dans une cornue tubulée, notre dissolution de sulfate de fer, saturée de gaz nitreux, et nous versâmes par-dessus une solution de potasse caustique, dont il fut ajouté un excès; nous joignîmes à ce vaisseau un récipient contenant un peu d’eau, et nous distillâmes, à une chaleur douce, la liqueur presque à siccité. Nous obtînmes une liqueur, dont l’odeur étoit très-sensiblement ammoniacale, qui répandoit des vapeurs blanches très-épaisses par l’approche d’un tube de verre mouillé d’acide muriatique non fumant, enfin qui verdissoit fortement le sirop de violette. Pour nous assurer plus parfaitement encore que cette liqueur contenoit véritablement de l’ammoniaque, nous y versâmes de l’acide muriatique jusqu’à saturation, et nous fîmes évaporer à siccité. Nous obtînmes 4 grains ou 0.212 de gramme de muriate d’ammoniaque parfaitement pur. Cette expérience ne nous laissoit aucune incertitude sur la présence de l’ammoniaque dans la solution du sulfate de fer, et sur la formation dans l’opération même; mais il nous falloit ensuite rechercher l’acide nitrique, et le mettre à part pour pouvoir le reconnoître; pour cela, nous lavâmes avec de l’eau le résidu de la distillation du sulfate de fer avec la potasse; et, après avoir mis, dans la liqueur de ce lavage, de l’acide sulfurique en excès, nous distillâmes de nouveau, et nous obtînmes une liqueur acide qui, combinée jusqu’au point de saturation avec la potasse, fournit, par l’évaporation, 17 grains ou 89 centigrammes de sel, qui avoit toutes les propriétés du nitrate de potasse. Pour terminer notre travail, et avant de rien expliquer, il nous restoit encore à examiner les 72 pouces cubes ou 1426 centimètres, qui avoient échappé à l’action du sulfate de fer à cause de la rapidité avec laquelle il avoit passé à travers de sa dissolution. Ayant déterminé, avant de soumettre ce gaz à l’expérience décrite plus haut, qu’il contenoit 12 pour 100 de gaz azote à l’état de mélange, nous reconnûmes, en examinant le résidu de la même manière, qu’il contenoit alors 0.14 de gaz azote; d’où il suit que non seulement le sulfate de fer avoit absorbé, dans cette opération, du gaz nitreux, mais aussi une certaine quantité de gaz azote; puisque nous aurions dû retrouver, si le gaz azote ne s’étoit pas dissous, 30 pouces ou 594 centimètres de ce gaz, tandis que nous n’en avons réellement trouvé que 8.64, 170 centimètres. Il y a donc eu environ 11 pouces, 217 centimètres de gaz azote absorbés par 100 parties de mélange . Ce fait apporteroit une petite incertitude dans la méthode eudiométrique de M. Humboldt par le gaz nitreux, s’il n’y avoit pas remédié par des expériences comparatives avec le gaz acide muriatique. Il faut avouer ici que la quantité de muriate d’ammoniaque, obtenue dans cette expérience, ne correspond pas exactement à celle du gaz azote absorbé. En effet, 21 pouces cubes, 415 centimètres de gaz azote, combinés avec la quantité d’hydrogène nécessaire à la formation de l’ammoniaque, auroient dû fournir environ 11 décigrammes de muriate d’ammoniaque; mais il est possible qu’il nous en soit échappé une partie. Après avoir reconnu, par l’expérience, qu’il s’étoit formé de l’ammoniaque et de l’acide nitreux dans l’opération, nous avons cherché à nous rendre compte de la manière dont les forces attractives avoient agi pour déterminer la formation de ces matières. L’expérience ayant démontré que l’ammoniaque est composé d’hydrogène et d’azote, et l’acide nitrique, d’oxigène et d’azote, voyons maintenant d’où peuvent provenir ces 3 principes. On retrouve l’oxigène et l’azote dans le gaz nitreux, mais l’hydrogène n’existe ni dans le gaz nitreux, ni dans le sulfate de fer; l’eau est donc la seule qui ait pu le fournir, d’où il est naturel de conclure que cette substance a été décomposée; ainsi, à mesure que le gaz ou oxide nitreux arrive dans la solution de sulfate de fer, il s’établit 4 forces qui concourent toutes à-la-fois à la formation de l’acide nitrique et de l’ammoniaque. Ces forces sont, 1°. celle de l’oxigène de l’eau pour le gaz nitreux, d’où résulte de l’acide nitrique; 2°. celle del’azote libre et du gaz nitreux pour l’hydrogène de l’eau, d’où naît l’ammoniaque; 3°. celle de l’acide sulfurique pour l’ammoniaque, d’où provient le sulfate d’ammoniaque; 4°. enfin celle de l’acide nitrique pour l’oxide de fer, d’où, etc. Il devroit donc se trouver, dans l’appareil où l’opération s’est faite, du nitrate de fer, du sulfate d’ammoniaque, du sulfate de fer non décomposé et de l’eau; et c’est ce qu’en effet l’expérience a confirmé. La somme des affinités qui lient l’hydrogène avec l’azote, l’ammoniaque avec l’acide sulfurique, l’oxigène avec le gaz nitreux, et l’acide nitrique avec le fer, est donc supérieure à celle des affinités qui unissent l’oxigène avec l’hydrogène, l’azote avec l’oxigène, et celle de l’acide sulfurique avec l’oxide de fer. Voilà l’explication d’un fait qui paroît trèssimple au premier aspect, et qui est cependant très-complexe: au reste, nous pensons que beaucoup d’autres substances, particulièrement parmi les dissolutions métalliques, doivent absorber aussi le gaz nitreux, en vertu des mêmes forces.