EXTRAIT D’une lettre de M. Humboldt à M. Blumenbach, contenant de nouvelles expériences sur l’irritation causée par les métaux, relativement à l’impression différente que les animaux en reçoivent . Lu à la première classe de l’Institut, le 11 frimaire, an 5, par le citoyen Guyton. Cette lettre fait partie du cahier du journal physique de M. Gren, pour le mois d’octobre dernier, qui a été annoncé tome 21 de nos annales, page 111. M. Humboldt est un des physiciens qui a le plus multiplié les observations et les expériences sur le phénomène apperçu par Galvani, de l’irritabilité produite par le contact de différens métaux dans des parties animales, en qui tout principe de vie sembloit éteint. Dès 1795, il avoit remarqué que l’irritabilité animale étoit sensiblement augmentée par l’action de l’acide muriatique oxigèné. N’ayant pas cessé de s’occuper de cet objet, la lecture des ouvrages physiologiques de Reil et ses entretiens avec MM. Scarpa et Volta, lui ont fait naître l’idée de nouvelles recherches, pour lesquelles il a eu quelquefois le courage de servir lui-même de sujet d’expériences. «M’entretenant, dit-il, avec M. Scarpa, à Pavie, des effets que le galvanisme avoit produits sur moi, rien ne l’étonna plus que l’apparition sur mon dos, d’une humeur limphatique et séreuse. Où est donc, demanda-t-il, le stimulant qui en peu d’instans change à ce point la nature des vaisseaux, les fait concourir à préparer des humeurs qui, dès qu’elles touchent l’épiderme, y excitent subitement une inflammation et y marquent leur passage par une rougeur qui dure des heures entières?» M. Humboldt promit de recommencer l’expérience; le récit qu’il en fait est un des articles les plus intéressans de cette lettre. Il se fit appliquer, pour cela, deux emplâtres vésicatoires sur le muscle deltoïde de l’une et l’autre épaule; l’ampoule gauche ayant été ouverte, il en sortit une liqueur qui ne laissa qu’un peu de luisant sur la peau, et que l’on fit disparoître en lavant. On laissa ensuite dessécher la plaie; cette précaution étoit nécessaire pour que l’on ne pût attribuer à une idiosyncrise des vaisseaux l’humeur âcre que devoit produire l’irritation galvanique. A peine cette douloureuse opération fut-elle commencée sur la plaie, par le moyen du zinc et de l’argent, que l’humeur séreuse en sortit avec abondance; sa couleur devint visiblement obscure en quelques secondes, et laissa, sur les endroits de la peau où elle passa, des traces d’un brun rouge enflammées. Cette humeur, étant descendue vers la fossette de l’estomac, et s’y étant arrêtée, y causa une rougeur de plus d’un pouce de surface; cette humeur promenée sur l’épiderme y laissa de même des taches qui, après avoir été lavées, paroissoient d’un bleu-rouge. Les endroits enflammés, ayant été imprudemment lavés avec de l’eau froide, s’accrurent tellement en couleur et en étendue, que M. Humboldt en conçut de l’inquiétude, ainsi que son médecin, le docteur Schallern , qui assistoit à ces expériences. M. Humboldt n’entreprend pas de déterminer la nature du fluide qui produit des effets si étonnans; mais il s’applique à circonscrire ces phénomènes dans les vraies circonstances qui les produisent; il varie avec sagacité les préparations; il note avec exactitude tous les résultats, persuadé que la cause du galvanisme ne peut être recherchée avec succès que par l’observation des proportions dans lesquelles la chaîne des métaux irrite et n’irrite pas; et, pour étendre encore ce vaste champ d’observations, il emploie divers moyens d’élever ou d’abaisser la capacité irritable des organes animaux. Quelle est la sensation que produit l’irritation galvanique? M. Humboldt s’est attendu a cette question: Personne (dit-il) ne peut en parler plus exactement que moi, ayant fait sur moi-même plusieurs expériences dont le siége étoit tantôt l’alvéole d’une dent que je m’étois fait tirer, tantôt des plaies que je m’étois faites à la main, une autre fois celles que laissèrent quatre emplâtres vésicatoires. Voici sa réponse: L’irritation galvanique est toujours douloureuse et d’autant plus que la partie irritée est plus blessée et que l’irritation dure plus long-tems. Les premiers coups ne se font sentir que foiblement; il y en a ensuite cinq ou six beaucoup plus sensibles, et qu’on peut à peine supporter, jusqu’à ce que le nerf irrité soit engourdi par une stimulation continuée. La sensation ne ressemble en rien à celle que causent les commotions et le bain électrique; c’est une douleur de son genre, qui ne pique, ni ne pince, ni ne pénètre, ni ne cesse, comme celle que cause le fluide électrique. On distingue un coup violent, une pression réglée, accompagnée d’une ardeur continue; et cette ardeur est incomparablement plus vive quand la plaie est couverte d’une plaque d’argent, et qu’on irrite par une verge de zinc, que quand la plaque de zinc est posée sur la plaie, et qu’on emploie la pincette d’argent pour établir la communication. Cette communication par le contact de l’épiderme ne produit rien; il paroît que le cuir charnu isole comme le verre que l’on poseroit entre la plaie et le métal: mais ce cuir étant mis à nud par deux plaies à 8 pouces de distance, si l’on met sur l’une une lame de zinc, sur l’autre une cuisse de grenouille préparée, celle-ci se contracte dès qu’elle communique au zinc par le fil d’argent; ce qui annonce que le fluide galvanique passe alors sous l’épiderme. Ce fluide produit en quelque circonstances une saveur acide très-sensible: les deux plaies de M. Humboldt ayant été couvertes l’une d’argent, l’autre de zinc, un fil de fer de plusieurs pieds de longueur attaché au zinc fut porté entre sa lèvre supérieure et la substance spongieuse des dents, de là sur la langue d’une autre personne; lorsque l’on approcha le fil de fer de l’argent, il y eut forte contraction du muscle scapulaire; et au même instant, la personne dont la langue se trouvoit dans la chaîne éprouva la sensation de l’acidité. Il y a même des cas où le fluide agit sur l’organe du goût, sans produire d’effet sensible sur les organes du mouvement; tel est celui où l’épiderme sert de conducteur du zinc à la grenouille, alors il n’y a aucune contraction, mais saveur acide sur la langue. L’auteur ayant appris de M. Volta qu’il employoit la potasse en liqueur (oleum tartari per deliquium) pour augmenter la vertu conductrice, s’est servi avantageusement de ce moyen pour élever la capacité des organes animaux. Il fit mouiller une de ses plaies avec cette liqueur, il en éprouva peu de douleur, mais l’irritation galvanique fut plus violente, et accompagnée de plus d’ardeur; des bluettes paroissoient et disparoissoient à ses yeux; la langue, mouillée de même, éprouva distinctement la sensation acide, quoique la chaîne ne fût établie qu’entre le zinc et le zinc. La cuisse de grenouille, mouillée de dissolution alcaline, portée sur un plateau de verre, sans toucher ni métal, ni matière charboneuse, tomba d’elle-même dans de violentes convulsions, les jumeaux et les doigts jouoient sans interruption. Par ce moyen l’irritabilité a été rétablie dans des parties animales, où elles avoient été détruites par des dissolutions chaudes d’oxide d’arsenic. Enfin l’irritation (qui n’a pas lieu ordinairement quand le nerf et le muscle sont armés du même métal, le métal différent étant entre deux) devient manifeste après cette préparation: ce qui semble indiquer que l’alcali n’irrite pas seulement le nerf, mais qu’il augmente son irritabilité. L’auteur a fait l’application de ce moyen sur les animaux amphibies qu’il retiroit de leur sommeil d’hiver, et dans lesquels il a reconnu une irritabilité particulière. Ces observations l’ont conduit à distinguer deux états de l’organe animal: le premier, d’irritabilité élevée naturellement ou artificiellement; le second, d’une moindre irritabilité. Ces deux états, qu’il appelle positif et négatif, ne sont cependant, comme il le remarque, que des degrés différens, et non des phénomènes absolument séparés. Dans les individus naturellement sensibles, les effets produits par les dissolutions alcalines, par l’acide muriatique oxigèné, par la dissolution d’oxide d’arsenic, sont très-rarement de la même intensité. Dans le cas d’irritabilité élevée on observe des mouvemens musculaires, sans métal ni matière charbonneuse. On les obtient avec les métaux, sans qu’il y ait communication du nerf au muscle, c’est-à-dire, sans chaîne; on les obtient en formant la chaîne de métaux semblables. Que l’on mette sur du verre le nerf crural d’un animal naturellement vif; que l’on fixe sur un bâton de cire à cacheter, un petit morceau de chair musculaire fraîche, et qu’on le mette en contact avec le muscle crural, il en résultera une violente convulsion au moment où la chaîne sera fermée. La même chose arrive si, au lieu du petit morceau de chair musculaire, on fixe sur le bâton de cire un morceau détaché du nerf crural. La chaîne n’est donc formée ici que de deux matières: nerf et fibre musculaire. Comment dans ce cas si simple le fluide qui passe du nerf dans le muscle peut-il le contracter? M. Humboldt pense qu’il ne devient stimulant que parce qu’il retourne du nerf dans le nerf par une matière annimale étrangère, c’est-à-dire, nonorganiquement liée avec le nerf. La disparité des métaux formant la chaîne, avoit paru jusqu’ici une condition nécessaire pour produire l’irritation galvanique; cette hypothèse est renversée par les observations de M. Humboldt. S’il est vrai que, dans l’état de moindre irritabilité, il y ait très-rarement contraction avec des métaux semblables (ainsi que Volta le soutient contre Aldini), cette circonstance devient indifférente dans les cas d’irritabilité élevée. M. Humboldt mit dans une tasse de porcelaine du mercure, exactement purifié; il porta le tout près d’un poële chaud, pour faire prendre à toute la masse une température égale; la surface étoit nette, sans apparence d’oxidation, ni d’humidité, ni de poussière; une cuisse de grenouille, préparée de manière que le nerf crural et un faisceau de fibres musculaires pendoient séparément de la même longueur, fut suspendue par deux fils de soie au-dessus du mercure: quand le nerf seul touchoit la surface du métal, il ne se manifestoit aucune irritation; mais dès que le faisceau musculaire et le nerf ensemble touchoient le mercure, ils entroient dans de si vives convulsions que la peau étoit tendue comme dans une attaque de tétanos. On ne doit pas être étonné de la précaution que prend ici M. Humboldt, d’échauffer le mercure, c’est une suite de l’opinion qu’il annonce que la parité des métaux ne dépend pas de l’homogénéité de leurs parties constituantes chimiques, mais de la chaleur, du poli, de la dureté et de la forme. Il y a dans l’original homogeneitât, mais l’homogénéité exclut toute notre idée que celle de l’identité des parties constituantes. Or, il ne peut être ici question que de l’identité du genre de métal. De l’or placé entre deux armatures de zinc ne produit l’irritation que quand l’or est mouillé de quelque fluide volatil, ou seulement par la respiration. Enfin, M. Humboldt a essayé de renfermer tous les cas dans les formules suivantes, savoir: 1°. Dans l’état d’irritabilité élevée. Cas positifs. Grenouille — chair musculaire. Grenouille — Zinc — Zinc. Grenouille — Zinc — Chair musculaire — Argent. Grenouille — Zinc — Argent — Zinc. Grenouille — Chair muscul. — Argent — Zinc. Grenouille — Zinc — Chair musc. — Argent. — Chair muscul. — Zinc. 2°. Dans l’état de moindre irritabilité. Cas positifs. Grenouille — Zinc — Argent. Grenouille — Zinc — Chair musculaire. — Argent — Zinc. Grenouille — Zinc — Chair muscul. — Argent — Chair muscul. — Argent — Zinc. Cas négatifs. Grenouille — Zinc — Zinc. Grenouille — Zinc — Chair muscul. — Argent. Grenouille — Zinc — Chair muscul. — Argent — Zinc. M. Humboldt termine cette lettre par quelques-unes des observations qu’il a recueillies dans le cours de ces expériences sur la vertu sthénique ou asthénique des agens chimiques, c’est-à-dire, leur énergie ou leur inefficacité pour produire l’irritation. Les alcalis paroissent être aux fibres sensibles ce que les acides sont aux faisceaux musculaires. L’acide muriatique augmente l’irritabilité du muscle, elle éteint celle du nerf qui ne reparoît pas même après que l’acide a été saturé d’alcali. En continuant d’enduire le nerf de solution alcaline, on parvient à produire une atonie entière par excès d’irritation; mais si l’on y fait tomber quelques gouttes d’acide muriatique, l’irritabilité est rétablie. Une cuisse de grenouille, irritée jusqu’à affaissement total par la dissolution chaude d’oxide d’arsenic, a éprouvé de nouvelles convulsions après avoir été trempée pendant deux minutes dans une dissolution de potasse. La vertu sthénique de l’acide muriatique oxigèné n’est pas moins remarquable: des cuisses de grenouille, naturellement flasques, affoiblies encore par une galvanisation de sept heures, qui ne donnoient aucun signe de mouvement quand l’argent servoit de conducteur entre le zinc et le nerf, éprouvèrent de violentes contractions, lorsque le nerf eut été mouillé d’acide muriatique oxigèné. L’auteur rappelle à ce sujet l’expérience qu’il a publiée en 1793, dans sa Flora Fribergensis, d’où il résulte que l’acide muriatique ordinaire arrête la germination des plantes, mais que l’acide muriatique oxigèné a fait germer en 7 heures une plante qui en a exigé 38 dans l’eau pure, pour arriver au même développement; ce qui lui paroît indiquer quelque rapport entre l’organisation végétale et l’organisation animale. On peut juger par cet extrait de la quantité de faits importans que renferme cette lettre et de l’intérêt qu’ils acquerront, lorsqu’ils seront réunis, classés et dévelopés dans le grand ouvrage qu’il prépare.