Expériences ſur le Galvaniſme. Du nom de Galvani, ſavant Italien, le premier qui ait fait des expériences de cette nature. Le cit. Guyton a communiqué à la claſſe des ſciences de l’Inſtitut national l’extrait ſuivant d’une lettre de M. Humboldt, inſérée dans le journal phyſique de M. Gren, contenant de nouvelles expériences ſur l’irritation cauſée par les métaux, relativement à l’impreſſion différente que les organes animaux en reçoivent. Les expériences décrites dans cette lettre font ſuite à celles précédemment publiées par M. Humboldt, & qu’il ſe propoſe de réunir dans un grand ouvrage ſur ce ſujet. S’entretenant avec M. Scarpa, à Pavie, des effets que le galvaniſme avoit produit ſur lui-même, rien ne l’étonna plus (dit il) que l’apparition ſur mon dos d’une humeur lymphatique & ſéreuſe. Où eſt donc, dit ce ſavant, le ſtimulant qui, en peu d’inſtans, change à ce point la nature des vaiſſeaux, les fait concourir à préparer des humeurs, qui dès qu’elles touchent l’épiderme, y excitent ſubitement une inflammation & y marquent leur paſſage par une rougeur qui dure des heures entières? M. Humboldt promit de recommencer l’expérience; le récit qu’il en fait eſt un des articles les plus intéreſſans de cette lettre. Il ſe fit appliquer, pour cela, deux emplâtres véſicatoires ſur le muſcle deltoïde de l’une & l’autre épaule; l’ampoule gauche ayant été ouverte, il en ſortit une liqueur qui ne laiſſa qu’un peu de luiſant ſur la peau, & que l’on fit diſparoître en lavant. On laiſſa enſuite deſſécher la plaie, cette précaution étoit néceſſaire pour que l’on ne pût attribuer à une idioſyncriſe des vaiſſeaux l’humeur âcre que devoit produire l’irritation galvanique. A peine cette douloureuſe opération fut-elle commencée ſur la plaie, par le moyen du zinc & de l’argent, que l’humeur ſéreuſe en ſortit avec abondance; ſa couleur devint viſiblement obſcure en quelques ſecondes & laiſſa ſur les endroits de la peau où elle paſſa, des traces d’un brun rouge enflammées. Cette humeur étant deſcendue vers la foſſette de l’eſtomac, & s’y étant arrêtée, y cauſa une rougeur de plus d’un pouce de ſurface; cette humeur promenée ſur l’épiderme y laiſſa de même des taches, qui après avoir été lavées, paroiſſoient d’un bleu rouge. Les endroits enflammés ayant été imprudemment lavés avec de l’eau froide, s’accrurent tellement en couleur & en étendue, que M. Humboldt en conçut de l’inquiétude ainſi que ſon médecin, le docteur Schallern , qui aſſiſtoit à ces expériences. M. Humboldt n’entreprend pas de déterminer la nature du fluide qui produit des effets ſi étonnans, mais il s’applique à circonſcrire ces phénomènes dans les vraies circonſtances qui les produiſent; il varie avec ſagacité les préparations; il note avec exactitude tous les réſultats, perſuadé que la cauſe du galvaniſme ne peut être recherchée avec ſuccès que par l’obſervation des proportions dans leſquelles la chaîne des métaux irrite & n’irrite pas; & pour étendre encore ce vaſte champ d’obſervations, il emploie divers moyens d’élever ou d’abaiſſer la capacité irritable des organes animaux. Quelle eſt la ſenſation que produit l’irritation galvanique? M. Humboldt s’eſt attendu à cette queſtion: Perſonne, dit-il, ne peut en parler plus exactement que moi, ayant fait ſur moimême pluſieurs expériences dont le ſiége étoit tantôt l’alvéole d’une dent que je m’étois fait tirer, tantôt des plaîes que je m’étois faites à la main, une autre fois celles que laiſſerent quatre emplâtres véſicatoires. Voici ſa réponſe: L’irritation galvanique eſt toujours douloureuſe, & d’autant plus que la partie irritée eſt plus bleſſée, & que l’irritation dure plus long-temps. Les premiers coups ne ſe font ſentir que foiblement; il y en a enſuite cinq ou ſix beaucoup plus ſenſibles, & qu’on peut à peine ſupporter juſqu’à ce que le nerf irrité ſoit engourdi par une ſtimulation continuée. La ſenſation ne reſſemble en rien à celle que cauſent les commotions & le bain électrique; c’eſt une douleur de ſon genre, qui ne pique, ni ne pince, ni ne pénètre, ni ne ceſſe comme celle que cauſe le fluide électrique. On diſtingue un coup violent, une preſſion réglée accompagnée d’une ardeur continue, & cette ardeur eſt incomparablement plus vive quand la plaie eſt couverte d’une plaque d’argent & qu’on irrite par une verge de zinc, que quand la plaque de zinc eſt poſée ſur la plaie, & qu’on emploie la pincetre d’argent pour établir la communication. Cette communication par le contact de l’épiderme ne produit rien; il paroît que le cuir charnu iſole comme le verre que l’on poſeroit entre la plaie & le métal. Mais ce cuir étant mis à nud par deux plaies à 8 pouces de diſtance, ſi l’on met ſur l’une une lame de zinc, ſur l’autre une cuiſſe de grenouille préparée, celle-ci ſe contracte dès qu’elle communique au zinc par le fil d’argent; ce qui annonce que le fluide galvanique paſſe alors ſous l’épiderme. Ce fluide produit en quelques circonſtances une ſaveur acide très-ſenſible: les deux plaies de M. Humboldt ayant été couvertes l’une d’argent, l’autre de zinc, un fil de fer de pluſieurs pieds de longueur attaché au zinc, fut porté entre ſa lèvre ſupérieure & la ſubſtance ſpongieuſe des dents, de là ſur la langue d’une autre perſonne; lorſque l’on approcha le fil de fer de l’argent, il y eut forte contraction du muſcle ſcapulaire & au même inſtant la perſonne dont la langue ſe trouvoit dans la chaîne éprouva la ſenſation de l’acidité. Il y a même des cas où le fluide agit ſur l’organe du goût, ſans produire d’effet ſenſible ſur les organes du mouvement; tel eſt celui où l’épiderme ſert de conducteur du zinc à la grenouille: alors il n’y a aucune contraction, mais ſaveur acide ſur la langue. L’auteur ayant appris de M. Volta qu’il employoit la potaſſe en liqueur (oleum tartari per deliquium) pour augmenter la vertu conductrice, s’eſt ſervi avantageuſement de ce moyen pour élever la capacité des organes animaux. Il fit mouiller une de ſes plaies avec cette liqueur, il en éprouva peu de douleur, mais l’irritation galvanique fut plus violente, & accompagnée de plus d’ardeur; des bluettes paroiſſoient & diſparoiſſoient à ſes yeux; la langue mouillée de même, éprouva diſtinctement la ſenſation acide, quoique la chaîne ne fût établie qu’entre le zinc & le zinc; la cuiſſe de grenouille, mouillée de diſſolution alcaline, portée ſur un plateau de verre, ſans toucher ni métal, ni matière charbonneuſe, tomba d’elle-même dans de violentes convulſions, les muſcles jumeaux & les doigis jouoient ſans interruption; par ce moyen l’irritabilité a été rétablie dans des parties animales, où elle avoit été détruite par des diſſolutions chaudes d’oxide d’arſenic; enfin l’irritation (qui n’a pas lieu ordinairement quand le nerf & le muſcle ſont armés du même métal, le métal différent étant entre deux) devient manifeſte après cette préparation: ce qui ſemble indiquer que l’alcali n’irrite pas ſeulement le nerf, mais qu’il augmente ſon irritabilité. L’auteur a fait l’application de ce moyen ſur les animaux amphibies qu’il retiroit de leur ſommeil d’hiver, & dans leſquels il a reconnu une irritabilité particulière. Ces obſervations l’ont conduit à diſtinguer deux états de l’organe animal: le premier d’irritabilité élevée naturellement ou artificiellement; le ſecond d’une moindre irritabilité. Ces deux états qu’il appelle poſitif & négatiſ, ne ſont cependant, comme il le remarque, que des degrés différens, & non des phénomènes abſolument ſéparés. Dans les individus naturellement ſenſibles, les efféts produits par les diſſolutions alcalines, par l’acide muriatique oxigèné, par la diſſolution d’oxide d’arſenic, ſont très-rarement de la même intenſité. Dans le cas d’irritabilité élevée on obſerve des mouvemens muſculaires, ſans métal ni matière charbonneuſe. On les obtient avec les métaux, ſans qu’il y ait communication du nerf au muſcle, c’eſt-à-dire ſans chaîne; on les obtient en formant la chaîne de métaux ſemblables. Que l’on mette ſur du verre le nerf crural d’un animal naturellement vif, que l’on fixe ſur un bâton de cire à cacheter, un petit morceau de chair muſculaire fraîche, & qu’on le mette en contact avec le muſcle crural, il en réſultera une violente convulſion au moment où la chaîne ſera formée. La même choſe arrive ſi au lieu du petit morceau de chair muſculaire on fixe ſur le bâton de cire un morceau détaché du nerf crural. La chaîne n’eſt donc formée ici que de deux matières: nerf & fibre muſculaire. Comment dans ce cas ſi ſimple, le fluide qui paſſe du nerf dans le muſcle peut-il le contracter? M. Humboldt penſe qu’il ne devient ſtimulant que parce qu’il retourne du nerf dans le nerf par une matière animale étrangère, c’eſt-à-dire, non organiquement liée avec le nerf. La diſparité des métaux formant la chaîne, avoit paru juſqu’ici une condition néceſſaire pour produire l’irritation galvanique; cette hypothèſe eſt renverſée par les obſervations de M. Humboldt. S’il eſt vrai que dans l’état de moindre irritabilité, il y ait très-rarement contraction avec des métaux ſemblables (ainſi que Volta le ſoutient contre Aldini), cette circonſtance devient indifférente dans les cas d’irritabilité élevée. M. Humboldt mit dans une taſſe de porcelaine du mercure, exactement purifié; il porta le tout près d’un poële chaud, pour faire prendre à toute la maſſe une température égale; la ſurface étoit nette, ſans apparence d’oxidation, ni d’humidité, ni de pouſſière; une cuiſſe de grenouille, préparée de manière que le nerf crural & un faiſceau de fibres muſculaires pendoient ſéparément de la même longueur, fut ſuſpendue par deux fils de ſoie audeſſus du mercure: quand le nerf ſeul touchoit la ſurface du métal, il ne ſe manifeſtoit aucune irritation; mais dès que le faiſceau muſculaire & le nerf enſemble touchoient le mercure, ils entroient dans de ſi vives convulſions que la peau étoit tendue comme dans une attaque de tétanos. On ne doit pas être étonné de la précaution que prend ici M. Humboldt, d’échauffer le mercure; c’eſt une ſuite de l’opinion qu’il annonce que la parité des métaux ne dépend pas de l’homogéneité de leurs parties conſtituantes chimiques, mais de la chaleur, du poli, de la dureté & de la forme. Il y a dans l’original homogeneitât, mais l’homogéneité exclut toute autre idée que celle de l’identité des parties conſtituantes. Or, il ne peut être ici queſtion que de l’identité du genre de métal. De l’or placé entre deux armatures de zinc ne produit l’irritation que quand l’or eſt mouillé de quelque fluide volatil, ou ſeulement par la reſpiration. Enfin, M. Humboldt a eſſayé de renfermer tous les cas dans les formules ſuivantes, ſavoir: 1°. Dans l’état d’irritabilité élevée. Cas poſitifs. Grenouille ‒‒‒ Chair muſculaire. Grenouille ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Zinc. Gren. ‒‒‒ Zinc. ‒‒‒ Chair muſcul. ‒‒‒ Argent. Gren. ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Argent ‒‒‒ Zinc. Gren. ‒‒‒ Chair muſcul. ‒‒‒ Argent ‒‒‒ Zinc. Gren. ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Chair muſcul. ‒‒‒ Argent. ‒‒‒ Chair muſcul. ‒‒‒ Zinc. 2°. Dans l’état de moindre irritabilité. Cas poſitifs. Grenouille ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Argent. Gren. ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Chair. muſcul. ‒‒‒ Argent ‒‒‒ Zinc. Gren. ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Chair. muſcul. ‒‒‒ Argent ‒‒‒ Ch. muſcul. ‒‒‒ Argent ‒‒‒ Zinc. Cas négatifs. Grenouille ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Zinc. Gren. ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Ch. muſcul. ‒‒‒ Argent. Gren. ‒‒‒ Zinc ‒‒‒ Chair muſcul. ‒‒‒ Argent ‒‒‒ Zinc. M. Humboldt termine cette lettre par quelques unes des obſervations qu’il a recueillies dans le cours de ces expériences ſur la vertu ſthénique ou aſthénique des agens chimiques, c’eſt-à-dire, leur énergie ou leur inefficacité pour produire l’irritation. Les alcalis paroiſſent être aux fibres ſenſibles, ce que les acides ſont aux faiſceaux muſculaires. L’acide muriatique augmente l’irritabilité du muſcle, elle éteint celle du nerf qui ne reparoît pas même après que l’acide a été ſaturé d’alcali. En continuant d’enduire le nerf de ſolution alcaline, on parvient à produire une atonie entière par excès d’irritation; mais ſi l’on y fait tomber quelques gouttes d’acide muriatique, l’irritabilité eſt rétablie. Une cuiſſe de grenouille irritée juſqu’à affaiſſement total par la diſſolution chaude d’oxide d’arſenic, a éprouvé de nouvelles convulſions après avoir été trempée pendant deux minutes dans une diſſolution de potaſſe. La vertu ſthénique de l’acide muriatique oxigéné n’eſt pas moins remarquable: des cuiſſes de grenouille naturellement flaſques, affoiblies encore par une galvaniſation de ſept heures, qui ne donnoient aucun ſigne de mouvement quand l’argent ſervoit de conducteur entre le zinc & le nerf, éprouvèrent de violentes contractions, lorſque le nerf eut été mouillé d’acide muriatique oxigéné. L’auteur rappelle à ce ſujet l’expérience qu’il a publiée en 1793, dans ſa Flora Fribergenſis, d’où il réſulte que l’acide muriatique ordinaire arrête la germination des plantes, mais que l’acide muriatique oxigéné a fait germer en ſept heures une plante qui en a exigé trente-huit dans l’eau pure, pour arriver au même développement; ce qui lui paroît indiquer quelque rapport entre l’organiſation végétale & l’organiſation animale. On peut juger par cet extrait de la quantité de faits importans que renferme cette lettre, & de l’intérêt qu’ils acquéreront lorſqu’ils ſeront réunis, claſſés & développés dans le grand ouvrage qu’il prépare.