EBAUCHE D'UNE TABLE Sur la propriete conductrice de la chaleur de plusieurs Substances; Par Humboldt: Traduite de l'Allemand. Les phenomenes que presente le calorique lorsqu'il passe d'une substance a une autre, ou lorsqu'il s'y trouve accumule, ou qu'il s'en degage, sont trop frappans, pour ne pas avoir fixe de tout tems l'attention des physiciens. Les ecrits d'Aristote font soupconner que plus d'un savant grec s'occupoit de cette matiere; mais le genie singulier de ces anciens philosophes, de vouloir tout expliquer, & de se contenter d'hypotheses qui choquent le bon sens, a singulierement entrave l'esprit d'observation, ou pour le moins, contribue a lui donner une direction fautive. Malgre ces obstacles, il faut admirer la perspicacite avec laquelle on observoit alors plusieurs objets isoles, dont plusieurs ont echappe a la recherche des physiciens modernes, ou dont on n'a fait mention que tres-tard. Je me contenterai d'indiquer a ce sujet quelques passages qui se trouvent repandus dans les ouvrages d'Aristote, entr'autres, Problem. sect. x, ou il est question du calorique comme cause de l'elasticite des vapeurs; sect. xxiii, sur le point d'ebullition des liqueurs salines; sect. xxiv, sur la maniere de se preserver de la chaleur par le moyen de l'huile; sur la chaleur des sources; sur la question pourquoi l'eau chaude ne braule point le bois; pourquoi le fond d'un vaisseau rempli d'eau est plus chaud avant que l'eau entre en ebullition, & qu'il l'est moins quand l'ebullition a lieu, &c. &c. Cependant, quelqu'attention que l'on ait portee anciennement, ou dans les tems posterieurs, a l'echauffement ou au refroidissement des corps, il falloit renoncer a des resultats exacts avant l'invention du thermometre. Meme dans le tems que l'on s'occupoit a Florence & a Padoue de persectionner cet instrument, & que son usage etoit connu en France, en Allemagne & en Angleterre, l'idee de l'effet que produit une certaine quantite de calorique sur la temperature de differentes substances, ou la doctrine de la chaleur specifique des substances heterogenes, restoit toujours tres-confuse. Cette decouverte, une des plus remarquables & des plus fertiles dont la Physique moderne peut se vanter, etoit reservee a la sagacite de MM. Wilke, de Luc & Black. Elle donna lieu a une foule d'observations nouvelles, & repandit un plus grand jour sur les phenomenes de la nature les plus importans, & devint a la suite une des bases de la nouvelle theorie sur la propriete des corps conducteurs de la chaleur. Mais les observations sur lesquelles est fondee cette nouvelle theorie, appartiennent a une epoque anterieure. Ce fut en 1752, que M. Richmann a Petersbourg publia ses experiences sur la propriete que possedent plusieurs metaux de servir comme conducteurs de la chaleur. Pour cet effet il suspendit dans l'air a des fils des boules de plomb, d'etain, de fer, &c. au milieu desquelles il avoit adapte des thermometres; M. Richmann commencoit par echauffer ces boules, & remarquoit alors les differens intervalles dans lesquelles elles refroidissoient . Commentar. Acad. Petropolitan. ann. 1752, pag. 241. M. de Buffon fit egalement connoeitre des observations, par lesquelles il prouvoit, que des substances liquides & elastiques etoient de meilleurs conducteurs que les solides; mais cette assertion de Buffon a ete depuis refutee par plusieurs experiences & des calculs fort exacts. MM. Franklin & Achard faisoient connoeitre le rapport remarquable qui existe entre la matiere electrique & le calorique; ces deux savans ont prouve, que l'un & l'autre sont conduits & isoles par la meme matiere, & que les resines & le verre n'etoient que des mauvais conducteurs, tandis que les metaux remplissoient cet objet beaucoup mieux que ces deux matieres. M. Ingen-Houß repeta les experiences de feu M. Richmann, mais d'apres une methode tres-differente. Ce savant plongea alternativement des fils de metal, dont l'extremite inferieure etoit couverte de cire, dans de l'huile chaude & de l'eau froide, mais il eut le malheur de tirer des consequences fausses d'une experience par elle-meme tres-ingenieuse . Rozier . Journal de Physique, Janvier 1789. M. Thompson faisoit des essais sur la propriete du vuide comme conducteur de la chaleur, du mercure & de l'atmosphere dans differens degres d'humidite; cependant les experiences de ce savant ne s'accordent pas en entier avec celles de M. Pictet . Philosophical Transaction, 1786, p. II. Pictet, Essais sur le Feu. Mais tous les savans dont je viens de citer les noms dans cet appercu rapide, n'ont considere que la force conductrice des substances isolees, sans avoir eu egard aux rapports qui existent entre la chaleur specifique, le poids specifique & la force conductrice de la chaleur. Le premier savant qui ait determine ces rapports avec precision, c'est M. Mayer, dans un ouvrage allemand, sur les loix & les modifications du Calorique, ouvrage, qui par les vues profondes qu'il contient, merite la plus grande attention des physiciens. Les experiences que M. Mayer a entreprises a ce sujet, lui ont fait voir, que deux corps composes de substances heterogenes, mais pour le reste de meme figure & grandeur, & tenus dans la meme temperature, ne perdoient pas leur chaleur a une meme epoque, parce que des substancees heterogenes possedent plus ou moins de proprietes a retenir ou a perdre leur chaleur. M. Mayer prouve de plus, que la force conductrice de deux corps d'un meme volume, est en raison inverse du tems dans lequel ils eprouvent une alteration uniforme dans la meme temperature; mais que leurs forces conductrices se trouvent parfaitement analogues avec les logarithmes de l'exposant de leur refroidissement. Sur cette supposition est fondee la force conductrice meme, d'apres laquelle (en designant le poids specifique par = p & la chaleur specifique = c) pour les solides & les fluides, il convient de mettre = [Formel] . Cette formule est plus conforme a l'experience, qu'on le pouvoit atendre des donnees sur la chaleur specifique toujours tres-incertaines. Des exemples, rapportes par M. Mayer (voyez l'ouvrage cite page 253) & mes experiences multipliees m'en ont donne la certitude. Poids specifique. Chaleur specifique. Chaleur relative. Force conductrice. Vuide de Toricelli.................... 0,1760 selon Thompson. Air atmospherique. Condense = 1.. 0,0012............. 0,2550 le meme. Air atmospherique. Condense = [Formel] ..................... 0,2490 le meme. Cendres de bois.. 1,5560 1,4144 1,4144 0,7072 selon mon calcul. Acide vitriolique. 1,7000 1,2886 1,2886 0,7764 Rouille de fer... 4,5000 1,1250 1,1250 0,8889 Cuivre....... 8,5760 0,9861 0,9861 0,8970 selon Richmann. Fer......... 7,8076 0,9907 0,9907 0,9430 Cuivre jaune.... 8,3960 0,9403 0,9403 0,9430 Lait de vache... 1,0300 1,0289 1,0289 0,9727 mon calcul. Vinaigre...... 1,0110 1,0413 1,0413 0,9900 selon Mayer. Eau......... 1,0000 1,0000 1,0000 1,0000 Poids specifique. Chaleur specifique. Chaleur relative. Force conductrice. Or.......... 19,0400 0,9520 0,9520 1,0504 mon calcul. Air humide....................... 1,0543 Thompson. Acide nitreux... 1,5800 0,9100 0,9100 1,0989 selon mon calcul. Argent....... 10,0010 0,8020 0,8020 1,2195 Acide muriatique. 1,1500 0,7820 0,7820 1,2787 Pierre calcaire... 2,8570 0,7313 0,7313 1,3674 Huile d'olive.... 0,9130 0,7100 0,6482 1,5472 Etain........ 7,2910 0,0680 0,4957 1,5410 Richmann. Zinc......... 6,8620 0,0943 0,5470 1,5455 selon mon exp. Chaux de plomb.. 8,9400 0,0680 0,6079 1,6474 Antimoine..... 6,8600 0,0860 0,5899 1,6952 Esprit-de-vin... 0,8150 0,6021 0,4907 2,0379 Huile de lin.... 0,9280 0,5230 0,4899 2,0412 Charbon de terre. 1,5000 0,2777 0,4166 2,4003 selon mon exp. Mercure...... 13,5800 0,0330 0,4656 1,9700 selon Mayer. Plomb....... 11,4459 0,0352 0,4029 0,3138 Richmann. Bismuth...... 9,8610 0,0430 0,4240 2,3584 selon mon exp. Essence de terebent. 0,7920 0,4720 0,3738 2,6752 Soufre........ 1,8000 0,1830 0,3294 3,0358 Glace pour les degr. au-dessous de zero. 0,9160 0,9160 0,8244 1,2130 Recapitulation. Substances resineuses, -- fuit, -- poils, -- plumes, -- laine, -- coton, -- air atmospherique, -- cendres de bois, -- bois, -- acide vitriolique, -- rouille de fer. -- cuivre, -- fer, -- cuivre jaune, -- lait de vache, -- vinaigre, -- eau, -- or, -- air humide, -- acide nitreux, -- argent, -- acide muriatique, -- pierre calcaire, -- huile d'olive, -- etain, -- zinc, -- chaux de plomb, -- antimoine, -- esprit-de-vin, -- huile de lin, -- charbon de terre, -- mercure, -- plomb, -- bismuth, -- essence de terebenthine, -- soufre. Mon travail sur la matiere la plus convenable pour la construction des chaudieres destinees a la fabrication du sel, m'avoit engage a ebaucher la Table precedente, sur la propriete conductrice de la chaleur; comme ce travail pourroit servir a quelques physiciens, & etre accueilli favorablement par d'autres, je me suis determine a le publier. Les avantages que les logarithmes & les Tables de sinus offrent aux astronomes, les physiciens peuvent les retirer des Tables, dans lesquelles ils trouveront les poids specifiques des corps, leur capacite, leur chaleur relative, & tout ce qui peut etre explique par le calcul. On verra, que j'ai distingue soigneusement les rapports fondes immediatement sur des experiences, avec celles dont les resultats ont ete trouves par le calcul; mais il est necessaire d'avertir les Lecteurs, de ne point considerer mes calculs seuls, mais bien les deux resultats unis, comme nombres approximatifs, parce que les differentes temperatures produisent souvent une variation dans la force conductrice, & que les erreurs que le poids specifique & la capacite peuvent presenter, dependent souvent, comme le prouve l'experience de M. Ingen-Houß, d'obstacles difficiles a vaincre, & qui naturellement doivent influer sur les experiences memes. Le zinc est peut-etre meilleur conducteur pour la chaleur que l'huile d'olive & l'etain; & l'alcool est peut-etre preferable a l'huile de lin, quoique dans la Table j'aie donne la preference a ce dernier: par-tout ou les quantites enoncees ne sont que de tres-peu de difference, on ne sauroit etre assez sur ses gardes, quelque bien etabli que mon calcul puisse paroeitre.